jeudi 13 novembre 2008

Entertainment vs. Escapism

Il y a quelques différences de langage, a priori irréconciliables, entre le français et l'anglais à propos du cinéma. En France on a une haute idée du 7e Art, dans les journaux le cinéma est classé dans la rubrique culture, et quoique la culture puisse (et même doive) être populaire, on ne peut pas prendre au sérieux un film qui ne vise qu'à être un bon divertissement.

Au Etats-Unis les films font partie de l'entertainment, ce qui se traduit bien par divertissement en français, bien qu'il s'agisse plus spécifiquement dans ce cas de l'industrie du spectacle au sens large (musique, cinéma, théatre, stand-up ou encore télévision, jeux vidéos...). Certains journaux de qualité ont une rubrique à part pour les films (cinema fait un peu prétentieux, même dans le NY Times) mais on y parle sans complexe de business. La position bâtarde de journaleux ciné fait d'ailleurs, ici comme là-bas, que la critique ciné (comme toute critique initialement artistique finalement) est vite frelatée par l'optique actualité qui demande de suivre le jeu des attachés de presse, des producteurs et des acteurs.
Détail amusant : Yahoo ou Google ont une rubrique entertainment pour classer des news qui ne sont bien souvent que des anecdotes people. Dans la version française de ces "agrégateurs d'actualités" Entertainment devient Culture, ce qui m'a permis plus d'une fois de sursauter en tombant sur une accroche à propos des frasques de Britney Spears, ou sur la dramatisation de l'éviction d'un gladiatouriste de la Star Ac', le tout sous l'intitulé Culture. Ce choc des cultures là, justement, me fait - presque - toujours sourire.


Le divertissement en français n'a de connotation péjorative que celle de prétentieux intellectuels qui ont oublié Pascal au passage. Ironiquement, entertainment vient du français "entretenir" qui nous rapproche de la culture ! Entretenir comporte l'idée de don ou d'échange verbal. Celui qui reçoit entretient son ouverture d'esprit, s'ouvre à d'autres cultures, d'autres histoires que celles qu'on veut lui vendre parce qu'on pense que c'est qu'il veux acheter. Si l'on peut isoler un vulgaire divertissement passif, alors l'entertainment est plus à rapprocher du fait de sortir le soir pour s'aérer l'esprit.

Certes on peut s'aérer l'esprit plus facilement en créant un grand courant d'air d'une oreille à l'autre (c'est un peu l'objet du gros son dans les gros films d'action) plutôt qu'en utilisant pleinement ces excroissances du cerveau que sont les yeux. Les américains ont donc un autre mot plus précis qu'entertainment, et qui n'a pas de connotation négative, pour évoquer le besoin de fuir le quotidien : escapism.

S'évader 90 ou 120 minutes c'est bien sûr ce que tout le monde demande à un film (sauf les critiques, pour qui regarder un film est un métier, plus du tout un plaisir depuis longtemps). Personnellement j'estime qu'un film est en grande partie réussi quand il ne me laisse pas l'occasion de m'ennuyer ou de me poser des questions. Si je ne rentre pas dans le film, il n'y a rien à faire. Bon, il est vrai que je suis nettement plus exigeant que la moyenne des spectateurs, mais globalement je viens chercher la même chose au cinéma. Quand des amis m'ont emmené voir Iron-man à sa sortie, j'ai trainé les pieds parce que pour moi, a priori, tous les films de super-héros racontent la même histoire avec peu de variantes vraiment originales. Au bout du compte je ne me suis pas ennuyé, mais je ne suis pas plus enthousiaste qu'au départ.

Escapism, c'est la fuite vers un paradis artificiel, on veut oublier le quotidien pour se perdre dans une autre histoire. Évidemment l'évasion sera d'autant plus facile à gérer que le retour sur terre est doux : le happy-ending se pose là. Mais c'est juste parce qu'il est plus facile de laisser les spectateurs sur une note optimiste. Escapism c'est finalement l'exact équivalent du français divertissement. Se divertir, ce n'est pas directement stupide ou simplement passif en soi, tout dépend du retentissement chez la personne. Si je tends à échapper définitivement au réel, c'est un comportement compulsif ; si c'est ponctuel, et qu'éventuellement j'en tire quelque chose (un bon souvenir au moins, matière à réflexion parfois) c'est du divertissement, ça fait partie de la vie, au même titre que l'illusion. Certains se bercent d'illusions, d'autres ne s'en font pas, ou plus, mais dans l'ensemble nous les recherchons et nous nous portons d'autant mieux qu'elles ne sont pas perdues, ni figées dans une certaine représentation du monde.

Bref le travail d'illusion à l'origine du cinéma mène tout naturellement au divertissement qui a son tour apporte à la culture une respiration. Sans divertissement, la culture n'est que générale. Et la culture générale c'est cette insulte aux individualités toujours rivée au socle de l'éducation nationale plus d'un siècle après la mort de Jules Ferry.

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