vendredi 28 décembre 2012

Skyfall dépasse Golfinger

Dans le petit monde des chiffres du ciné on parle gros sous. Salaires d'acteurs 'bankables' et budgets qui se comptent en dizaines de millions de dollars (sinon, peuh...). A partir de 20 millions de dollars le film un acteur a droit à des articles sur son accession au sommet (effectivement c'est moins discutable que le talent), mais ça devient rare avec des deals qui ont une plus forte partie de variable, et à partir de 100 millions de dollars de budget... et ben théoriquement il y a assez de budget marketing pour acheter de l'espace un peu partout et même susciter des envies de papier chez ceux qui n'ont pas eu leur part.

En France on continue de mesurer le succès en salles en nombre de spectateurs, et pas en recettes brutes au guichet. C'est plus honnête, c'est une donnée plus fiable dans le temps, mais question marketing parler en millions de dollars (ou d'euros tant que ça existe) ça se pose un peu là ! Quelques économistes du cinéma font bien des études en corrigeant les données en dollars constants, en parité de pouvoir d'achat, pour pouvoir comparer ce qui est comparable, tout le monde s'en fout, on compare des choux et des carottes.

En France jusqu'à cet hiver Golfinger était - et de loin - le James Bond le plus vu en salles. 6 675 000 entrées dans l'année qui a suivi sa sortie (1965).

mercredi 12 décembre 2012

Histoire d'adaptation : Orange Mécanique


50 ans après la publication du roman, 40 ans après la sortie du film, quelques considérations sur l'adaptation littéraire à partir de ce cas unique : la conjonction des talents d'un écrivain et d'un cinéaste majeurs. Anthony Burgess a écrit Orange Mécanique en 3 semaines, Stanley Kubrick s'est lancé dans cette adaptation après l'échec du financement de sa lubie, un film fleuve retraçant la vie, in extenso, de Napoléon. En 1962 Burgess avait besoin d'argent. Kubrick en 1970 venait de décrocher un contrat à long terme avec Warner Bros, un contrat unique lui assurant indépendance financière et artistique.


Il est très difficile de lire Orange Mécanique après avoir vu le film. Le livre n'est pas très facile à lire, au moins au début, à cause de l'argot 'nadsat' inventé pour l'occasion, et l'histoire en elle-même n'est plus originale pour peu qu'on ait été marqué par le film. L'adaptation de Kubrick est un film tellement fort, tellement réussi que l'expérience de lecture ne peut qu'en être décevante après. Kubrick loue cependant de manière appuyé les mérites du court roman original :
« brilliant and original novel »
« I think A Clockwork Orange is one of the very few books where a writer has played with syntax and introduced new words where it worked. »
« A Clockwork Orange has a wonderful plot, strong characters and clear philosophy. »
(interview par Michel Ciment au cours des années 80)
Pourtant, à propos de Barry Lyndon, son film suivant, pour lequel il a aussi écrit seul l'adaptation d'un court roman, il explique qu'il est plus facile de tirer un bon film d'un roman moyen que d'un chef d’œuvre. Un monument de la littérature dégage une puissance monolithique trop riche et complexe pour ne pas devoir en passer par une simplification, forcément décevante, à moins de revendiquer clairement n'avoir eu l'ambition que de s'inspirer d'une partie de l'histoire1.

Toutes les qualités du roman Orange Mécanique sont concentrées et facilitent ainsi une vision simple de l'adaptation à convertir en scénario puis en images : « personnage central fort, excellente histoire » et stylisation qui s'impose avec le langage inventé. Cette stylisation demande un certain effort d'adaptation en langue originale, mais comme toute stylisation importante elle rend la traduction forcément laborieuse. Traduite visuellement la stylisation est enfin traduite dans un langage universel, c'est la force du cinéma dès le muet. Mais le roman a aussi, nous dit Kubrick, une « philosophie claire », en l'occurence la question du libre-arbitre :
« Do we lose our humanity if we are deprived of the choice between good and evil? »

Entre HAL-9000 et la chambre 237 : le chapitre 21.


C'est ici que la vision des deux auteurs diffère dans le détail sans différer sur la forme. Ce détail a d'ailleurs permis d'alimenter les nombreuses thèses sur le roman qui ont suivi la sortie du film, situation ironique où l'écrivain s'est retrouvé à assurer le service après-vente d'un phénomène dont il n'a touché que peu de dividendes. Ce détail c'est tout simplement un chapitre du livre qui a été coupé, et pas juste une chapitre anecdotique : le dernier chapitre. En résumé le film se clôt sur l'avant dernier chapitre de l'histoire racontée par Burgess, et ce 21ème et dernier chapitre est effectivement déroutant pour qui a vu (et apprécié) le film. Il s'agit tout simplement d'une sorte d'épilogue où le héros Alex atteint 18 ans (il en a à peu près 14-15 au début) et se trouve trop vieux pour cette vie de débauche recommencée. Il devient adulte nous dit l'auteur.

Si Kubrick n'a pas gardé cette fin « morale » à défaut d'être moralisatrice, c'est tout simplement parce qu'il avait lu l'édition américaine du roman et que Burgess avait accepté que l'éditeur US omette ce dernier chapitre parce qu'il avait besoin de l'avance. Kubrick avoue avoir appris l'existence de la fin originale alors qu'il finissait son adaptation. Pour lui ce chapitre avait l'air d'une concession de l'écrivain à un éditeur soucieux de la bonne morale ! Burgess se justifie2 lors d'une réédition US (1986) reprenant enfin l'intégralité des 21 chapitres originaux. Pour lui le romancier se doit de montrer que les personnages peuvent évoluer, donc ce dernier chapitre est essentiel. Sinon on est dans la fable, l'allégorie. On ne peut s'empêcher de penser que Burgess a effectivement suivi ce principe rapidement en même temps que son plan en 21 chapitres (3 parties de 7 chapitres, 21 symbolisant à cette époque l'entrée dans l'âge adulte) pour écrire une histoire aussi originale en trois semaines. En 1986 Antony Burgess continue de revendiquer la pertinence de sa logique face à l'étouffante popularité du film de Kubrick. Pourtant ses arguments sont alignés avec une force de conviction décroissante. Il décrit la fatalité artistique d'être connu principalement pour ce roman (voire simplement connu grâce au générique du film pour la majorité des spectateurs qui ne lira jamais une ligne de son œuvre), roman mineur pour lui auquel il tient bien moins qu'à d'autres où il sait qu'il a mis plus de travail et où il a eu l'impression d'avoir mis plus de talent.