lundi 11 août 2014

Aménager la chèvre, la choucroute et le pirate

"Et vous qu'avez-vous fait contre le piratage ?" C'est en substance cette rengaine obligée face aux pouvoirs publics que Jean Labadie a adressé à la Ministre de la Culture. Le personnage, discret dans les medias et efficace dans son domaine a enchainé les succès à partir de ses années Mk2, à la tête de Bac Films, Mars Distribution et au lancement de sa propre société de distribution : Le Pacte. Et puis les affaires se corsent, parce qu'il y a du monde sur le créneau et que rien ne garanti le succès annuel qui permet de continuer.

Alors il vient pleurer. Contre le "piratage", évidemment. La vie est injuste est dure, aidez-nous, défendez-nous, subventionnez-nous... bref, faites notre travail à notre place en somme. Parce qu'il est là le problème : ces messieurs "de l'industrie" se voient comme des créateurs, des artistes de la confection de films taillés pour le grand écran (à décliner en prêt-à-porter pour les autres supports) et où l'économie générale du secteur c'est à l'Etat de s'en porter garant.

Hé oui, c'est bien de connaitre à fond son métier, de travailler dans un secteur très valorisant mais éminemment nombriliste : à un moment il faut regarder ce qui se passe dans le monde, et avec plus de recul que le producteur à l’affut de sujets brulants, d'actualité pétillante. La VOD est un quasi-fiasco en France, mais ça ne date pas d'hier. On sait très bien que si ça n'a pas marché comme il faudrait c'est à cause des difficultés à mettre tout le monde d'accord. Qui attendait un Ministre de la Culture visionnaire (et couillu) pour chambouler tout ça ? Sérieusement, il faut arrêter de fabriquer des chapeaux dans son coin et s'apercevoir que les gens veulent aller nu tête, ou se donner un style qui laisse la place à des niches. On ne va pas forcer les gens à mettre des chapeaux, on ne va pas subventionner les chapeliers.

Le "piratage"... Mais c'est vraiment se voiler la face que de prendre un effet parmi d'autres de la révolution numérique comme la cause des difficultés du secteur. C'est regarder le monde par le petit bout de la lorgnette en sachant d'avance ce qu'on va voir comme horizon limité. Celui qui aime ce qu'il produit ne peut que ce réjouir de l'engouement qu'il suscite. S'il n'en tire pas suffisamment bénéfice c'est qu'il ne sait tout simplement pas bien se vendre.

J'ai toujours l'impression que les producteurs qui bèlent "Au viol, je suis piraté dans tous les sens" se plaignent surtout que leurs films ne marchent pas suffisamment bien à cause de l'attitude des gens qui attendraient une séance gratuite. Encore une fois, mettez-vous à la place de votre public au lieu de le traiter de voleur ! Si on enlève les gros films qui sortent sur plus de 400 copies, il y a beaucoup de villes (et a fortiori de campagnes) qui n'ont pas de salle à proximité. Et la VOD est mal déployée, et arrive trop tard. Et la TNT est toute fraiche (même pas 10 ans), alors on n'est pas encore blasés du choix violemment élargi que ça a nous a apporté pour nos soirées.

Bref, continuez à tendre votre chapeau au Ministre et vous n'allez pas tarder à le manger, non sans vous fâcher avec tout ceux qui vous subventionnent et peuvent accessoirement faire office de public.

mardi 15 avril 2014

Projection test : "Papa was not a rolling stone"

Depuis le temps que j'entendais parler de ces fameuses projections test, j'ai enfin eu l'occasion de me faire une idée. De fait j'ai souvent entendu des anecdotes plus ou moins heureuses sur cette dernière étape de la genèse du film, mais autant que je me souvienne il ne s'agit que d'exemples américains. Évidemment puisque c'est eux qui l'ont inventé (peut-être Harold Lloyd dès 1928 d'après Wikipedia) et il faut bien avouer que le procédé a mauvaise presse chez nous les Exceptionnels Culturistes du 7ème Art, le pays de l'auteur sans plafond et ses amis intermittents de la créativité.


Faire une projection test les américains font ça sans complexe, et franchement, quand on a bossé le nez dans le guidon pendant des mois, qui pourrait cracher sur un regard innocent, et le seul regard qui compte au final, celui du public ? Ceci dit ça coûte cher donc on a intérêt à savoir quels aspects on souhaite tester, parce que quiconque a fait un peu sérieusement de l'analyse statistique sait que des questions mal posées, trop ouvertes, trop fermées, un questionnaire trop long, mal structuré etc. vont introduire un biais qui se démultiplie au fil des erreurs de conception.


PAPA WAS NOT A ROLLING STONE


Le premier biais c'est celui de l'échantillon et de ce que j'ai compris Médiametrie a tapé dans le cœur du public régulier des salles obscures : ceux qui ont une habitude, un plaisir, des exigences sur grand écran. On était beaucoup dans la tranche 20-40 ans apparemment ce lundi soir au cinéma Publicis.


Le fait de ne pas savoir quel film on allait voir perturbait un peu les gens qui m'accompagnaient et ça c'est peut-être un vrai biais... pas forcément négatif puisque les volontaires les plus naturels vont ainsi s'avérer être plus ouverts d'esprit a priori, prêts à donner sa chance à un film dont ils ne connaissent même pas le titre.

lundi 7 avril 2014

Pretty Stupid Woman ch. Orange Studio à couler

Tout laisse penser que la structure de production ciné Orange Studio (appelée Studio 37 à l'origine) va peu à peu être démantelée. Une maison mère qui vivait dans l'insouciante opulence avant le séisme Free Mobile, une structure batarde : privée mais donc l’État reste l'actionnaire principal et décide donc directement de la nomination du Président (et en sous main de bon nombre de copains et autres relations plus ou moins avouables à recaser).

Studio 37 : le nom de départ fleurait pourtant bon l'humilité d'une structure indépendante, mais c'était évidemment illusoire dans la nébuleuse Orange. Orange Studio c'est sans équivoque une "danseuse", un projet perclus de prétentions. On ne s'étonnera donc pas de trouver comme présidente de son Conseil d'Administration Christine Albanel, qui doit sa triste notoriété au Ministère de la Culture à son empressement borné à suivre les lobbies des "ayant-droits" pour faire financer par le contribuable le fiasco Hadopi.

Mais ce n'est qu'un détail dans le gouffre du Studio Orange :
Le bilan financier : Orange Studio afficherait des pertes cumulées de 100 millions d’euros sur 4 ans avec "beaucoup d’échecs" et "zero kopek" sur les succès comme The Artist.
Pour Frédérique Dumas "dès le départ, [...] les choses étaient claires : on savait qu’il n’était pas question de rentabilité, chaque film est une prise de risques. L’amortissement des pertes était conditionné à la création d’un catalogue, et à l’exploitation à long terme des films."
 (in Le Monde du 26 mars 2014)

Cette fameuse Frédérique Dumas est l'ancienne DG du studio, licenciée fin janvier et qui va maintenant pleurer aux Prud'hommes après s'être pavanée avec des gens de cinéma pour choisir sur quels films claquer des millions. Je crois rêver en lisant de tels propos pour assurer sa défense : en gros la gestion catastrophique du studio ne peut pas lui être reprochée puisqu'il s'agissait de perdre de l'argent aujourd'hui pour en gagner (peut-être un peu) plus tard. Quelle fulgurante leçon d'investissement et de responsabilité managériale !

"L’amortissement des pertes était conditionné à la création d’un catalogue, et à l’exploitation à long terme des films." Non mais quelle grosse tache ! "A long terme" disait Keynes pour moquer les théories fumeuses "nous sommes tous morts." N'importe qui est capable de mettre de l'argent sur des films qui ne rapportent pas un kopeck et raconter qu'on se rattrapera sur "+ l'infini" en ventes DVD, VOD... Sauf qu'il y a une corrélation très marquée (pas absolue, il y a tjs des exceptions, mais rarement sur des films de studios) entre la rentabilité en salles et la rentabilité tv/vidéo.

Ah, je n'ose même pas imaginer le salaire (et les notes de frais) de Mme Dumas, ni ce qu'elle pourrait toucher aux Prud'hommes. Le chômage continue d'augmenter, des salariés de se jeter par les fenêtres mais il y a ces petits courtisan(e)s qui vivent tranquillement dans leur monde. Un film d'inaction qui ne sort pas en salles mais coûte autant qu'un blockbuster à Orange, donc à l'Etat, donc à nous contribuables. Michael Cimino avait coulé United Artists en 1980, mais avec le panache d'un réalisateur qui concevait le cinéma comme une gigantesque fresque animée. Pour le même prix on n'aura même pas le DVD souvenir, mais précisément il serait très dommage que Mme Dumas se fasse oublier trop facilement se voyant offrir un nouveau poste à responsabilités. Quant à ceux qui l'avaient recrutée (ou avaient appuyé sa candidature) chez Orange, c'est (double) peine perdue.

lundi 3 mars 2014

Une affaire de moeurs

Combien de fois m'est-il arrivé d'essayer de faire découvrir un bon (voire un excellent) film et me retrouver comme un couillon face à quelqu'un qui m'en voulait presque de l'expérience.

Ce thème de l'incompréhension entre deux mondes qu'un fossé, ou plutôt un mur invisible, sépare est d'ailleurs très riche. Dernièrement c'est dans La Vie d'Adèle que je l'ai trouvé particulièrement bien exploré. Et pourtant, ce film justement...
  • Il y a ceux qui sont allés le voir parce que c'est le dernier Kechiche, parce qu'il a eu la Palme d'Or... bref ceux qui, pour des raisons complètement ou pas du tout snobs vont voir plus ou moins régulièrement des "films d'auteur" (càd des films pas formatés au point d'entrer dans une case précise et unique type comédie/drame/policier/mœurs... quoiqu'on soit bien souvent plus près de l'étude de mœurs que d'autres genres),
  • Il y a ceux qui ont été curieux à cause ou grâce à la polémique lancée par Léa Seydoux (qui à mon avis a surtout flippé en voyant la place que risquait de prendre ce petit film d'auteur dans sa carrière) et au sujet des scènes de cul entre les deux actrices principales,
  • Il y a ceux qui vont très régulièrement au cinéma et qui vont voir à peu près tout ce qui fait un peu parler dans les sorties d'une semaine à l'autre,
  • Et il y en reste peut-être encore qui n'ont pas été pollués par les a priori des catégories ci-dessus et qui ont simplement été intrigués par la bande annonce, l'affiche ou par l'adaptation d'une BD qu'ils connaissaient déjà.
Je me classe plutôt dans ces derniers : c'est l'état d'esprit dans lequel j'aime aller voir un film. Une envie fondée sur quelques éléments révélateurs (sur lesquels évidemment je pourrai être très difficile), une envie qui veut en savoir le moins possible sur un film (contrairement à l'époque où je dévorais les revues ciné). Dans l'absolu je me range plutôt dans la première catégorie : je suis un cinéphile averti. Mais l'un n'empêche pas l'autre.

Pourtant ce mûr invisible est bien là. Plus je fuis les gens qui se la racontent intellos en ne jurant que par les derniers "auteurs" qui font des films très lourds à force de se regarder filmer, plus je me retrouve perdu au milieu de gens pour qui le ciné c'est juste une grande salle pour voir un grand spectacle qui existe aussi en petits formats à regarder chez soi (voire dans les transports...).

J'ai parfois fait l'erreur du débutant qui oublie que la grande majorité des spectateurs viennent chercher 1h30 - 2h de divertissement. J'imagine le sommelier qui conseille son vin préféré que le client lui recrache à la figure en lui disant qu'il veut absolument le vin formaté, surcoté avec la jolie étiquette dont tout le monde parle. J'ai encore fait cette erreur récemment. Un film dont j'ai offert le DVD à une demi-douzaine de personnes depuis que je l'ai découvert au ciné, rive gauche, dans un cycle sur le cinéma japonais. Quand j'y pense j'ai un peu pressé cette dernière personne pour qu'elle le voie alors qu'avant je n'ai jamais eu de retour. Je soupçonne même que certains ont évité de m'en parler...

Entre le ciel et l'enfer - Tengoku To Jigoku (High and Low en anglais) - Kurosawa (1963)
Ce n'est pas un film trop parfait pour être vrai, et justement le qualificatif prout-prout "chef d’œuvre immortel du 7ème art" ne me vient pas à l'esprit pour évoquer la puissance du film. Au point que j'ai du mal à me mettre à la place de quelqu'un qui aurait des attentes différentes.