lundi 13 février 2006

La porte ouverte à toutes les fenêtres

On n'en parle bizarrement assez peu en France mais le coup de Trafalgar de Soderbergh (et de son fourvoyeur de fonds Todd Wagner) est sorti selon une approche qui se veut "révolutionnaire", à savoir quasi-simulatnément dans (quelques) salles, en pay-per-view (donc télé + internet) et en DVD. Libé revient sur le contexte :
Voilà plusieurs mois déjà que Variety, bulletin suprême de la paroisse Hollywood, avait dramatiquement annoncé le geste de Soderbergh sous le titre «War of the windows !». Il pointait par là la vraie nature d'un problème dont la traduction est aisée puisque nous appelons nous aussi «fenêtres» ces temporalités successives qui organisent le calendrier des supports par lesquels un film est accessible au public : sortie en salles, DVD, diffusion pay-per-view sur câble et satellite, diffusion aux abonnés TPS et CanalSat, puis diffusion sur chaînes hertziennes (à quoi il faut parfois enchâsser des niches : vidéoclubs, hôtels, avions, etc.).

C'est dans ce bel édifice que Soderbergh et complices ont mis un coup de tatane hardi : «L'industrie et, plus important encore, les consommateurs sont prêts à entendre quelqu'un leur dire qu'aujourd'hui tout ceci n'a plus aucun sens, avance Todd Wagner. Le vieux modèle n'est plus en phase avec la façon dont le public veut désormais consommer l'entertainment.»

Entre Soderbergh qui s'est toujours pris pour un artiste d'avant-garde et ce marchand de tapis on a une belle vision du genre de raisonnement absurde qui peut germer dans des cerveaux où l'ego est régulièrement flatté, par des mots, par des chiffres, au point d'en arriver à croire pouvoir créer sa propre réalité.
Ceux qui ont un tant soit peu les pieds sur terre savent que si on place la naissance du cinéma avec la première projection publique des frères Lumière et pas avec les boites à images d'Edison c'est bien parce que le cinéma n'existe que comme un loisir de masse où les gens sortent de chez eux pour aller au spectacle. Que les plus petites salles ne soient plus rentables et qu'il faille faire des kilomètres pour en trouver une dans certaines régions moins urbanisées c'est une autre question et c'est même prendre le problème à l'envers que de vouloir faire des films pour le spectateur qui, a priori, n'aurait pas su qu'ils existaient.
C'est une maladie américaine de faire du populisme sous couvert d'optimisme et de bon sens national, cependant je dois dire qu'on n'est pas à l'abri en France où ce n'est pas les réflexions constructives qui font avancer le débat mais plutôt un équilibre plus ou moins heureux entre des centres d'inertie.

10 commentaires:

Anonyme a dit…

merci pour ce beau post bien réac sur ce qu'est le cinema et ce qu'il n'est pas...

viktor a dit…

Tu trouves ça réac de dire que le ciné n'existe que par les salles et que vouloir se goinfrer plus vite que les autres avec le DVD (avant qu'il ne soit trop tard) c'est une démarche de pionnier prêt à laisser sa chemise pour la beauté de l'art ?
OK. En tout cas bravo pour ta participation au débat.

Anonyme a dit…

La question qui se pose: a-t-il réussit son coup?

On peut rajouter sur Soderbergh d'avoir trouvé son "dogma" à lui, prouvant à la face du monde que c'est un vrai artiste ;-)

Perso, je ne lui donne pas de si mauvaises intentions que toi. Il vit aux States avec une mentalité de Statien, donc faire du pognon en faisant de l'"Art" est normal. Et puis tu avoueras que faire un long-métrage aux States pour 1,6 millions de dollars, c'est une démarche honnête non ? Au vu d’un budget moyen Statien, non ?

Si non, j’aime bien tes points de vue, je reviendrais.

viktor a dit…

Merci.
L'approche de Soderbergh est totalement bornée : comment faire des films de manière financièrement originale ?
A priori c'est pas ce qu'on lui demande et d'ailleurs les films 'direct-to-video' ont toujours été une économie parallèle, très rentable pour les spécialistes, mais qui n'a jamais eu la prétention de jouer dans la cour des grands.
L'approche Soderbergh-Wagner c'est on va apporter notre savoir-faire au 'direct-to-video' (c'est ainsi que je traduis leur business model même si eux rêvent au départ de jouer les pionniers voire les inventeurs du 7e art reloaded pour se goinfrer autant que certains avec internet ya qq années).
Je pense qu'ils ont déjà loupé leur pari vu qu'on a dit le film était bien et qu'à partir du moment où il est absent du box-office c'est comme s'il n'existait pas.
Un film de cinéma ça reste un film sur grand écran et un épisode de Julie Lescaut avec dix fois plus de budget ça reste du téléfilm. Ya aussi un truc qui fait rêver au ciné c'est que c'est plutôt rare (à part pour ceux qui ont leur carte orange UGC/Gaumont-mk2) et si tu ouvres les vannes sans jouer sur la rareté ton film, aussi réussi soit-il, n'est plus qu'une galette, plus ou moins bien pressée, un fichier vidéo, plus ou moins bien encodé.

On est d'accord que faire du pognon c'est normal (ne se serait-ce que pour avoir les moyens de continuer à pratiquer son art sans dépendre des autres) mais il ne faut pas réfléchir à l'envers non plus. Pour gagner du pognon ya des business bcp moins risqués et si les mecs sont là, dans le cinéma c'est parce qu'ils sont les premiers à rêver. Et ils ne savent malheureusement pas à quoi.

Anonyme a dit…

Ouaip, ton raisonnement se tient. Je suis assez d’accord avec toi sauf sur un point : le box office. Il est vrai qu’aux States si tu n’es pas au box office, t’es nulle part, t’es bon pour les vidéoclubs et encore si ton film est de « genre ».

Ne penses-tu pas que l’effet désiré par Soderbegh-Wagner n’est qu’une espèce de tâtage de terrain en vue de voir où en est la prochaine révolution du cinéma ? Le truc inéluctable ? C’est-à-dire l’effet « Artict Monkeys », se passer des grosses structures en place pour se faire sa place au soleil grâce au net ? Et puis, juste retour du bâton : arriver au box office d’une autre manière ?

Je suis entrain de lire « Sexe-Mensonge-Hollywood » grosso modo ce que dit le bonhomme, c’est qu’en dehors de quelques utopistes, aux states, tout qui se dit « indépendant » ne vise qu’à une chose : entrer au BO. Je n’aime pas ce bouquin, il attaque les personnes avant de s’attaquer aux motivations. Par exemple il tire au boulet rouge sur Redford, parce que ce dernier n’aurait qu’une volonté de pouvoir sans partage, parano, etc. Mais Redford, si on y réfléchit à deux fois qu’est-ce qu’il avait à se mettre dans cette galère (Sundance a tardé plus de 10 ans avant de décoller) ? Le but de Redford, à mon sens, était à la base de vraiment défendre un certain cinéma, il n’avait pas besoin de s’embrigader dans tant de complications. L’auteur affirme qu’il l’a fait pour retrouver son investissement dans la station de ski (foireuse), mais bon… j’y crois pas trop.

De même le coup de Soderbergh : qu’avait-il à se lancer dans cette galère? Le mec, il réalise près d’un film par an, avec qui il veut, avec plus ou moins les budgets qu’il veut. Alors pourquoi se faire chier avec des films à 1,6 M$, sans star, sans décor, en HD ? Je pense que l’argent n’est pas son moteur mais plutôt une petite vanité qui le titille : s’affirmer comme un vrai « auteur » innovant à la Lars Von Triers. Parce ce que, c’est quoi son truc ? C’est un « dogma » revu et corrigé, rien d’autre. Le « dogma », qui entre parenthèse est désavoué par son créateur him self…

Si non, l’affichage du Box office dans ton blog est de trop à mon sens. Pourquoi l’affiche-tu ?

viktor a dit…

Soderbergh a gagné toute la reconnaissance qu'il pouvait sur tous les tableaux (Cannes, Oscars, petits films intellos, gros films bourrins, et des trucs plus ambitieux au milieu) : qu'est-ce qui lui reste à montrer pour prouver qu'il est un visionnaire ?
Partir sur un business modèle chamboulé, se démarquer d'hollywood où il ne serait qu'un rouage, une des mieux huilé$, mais rouage qd mm. Finalement il ne prend pas de risque financier démesuré (ce qui serait plus remarquable que son business plan d'épicier qui découvre le web), il ne fait que faire son intéressant autrement parce qu'au niveau cinématographique il est très limité.
C'est mon opinion, je n'ai jamais trop aimé ces films. Même Traffic est too much du côté bien pensant.

Le BO c'était mon idée de départ pour avoir un truc d'info régulier. Je ne sais pas qui ça intéresse mais c'est un point de repère pour quand je n'ai rien à dire ou que je n'ai pas le temps de réfléchir à une entrée.

Anonyme a dit…

Toi et moi, ne sommes-nous pas un peu méchants envers Soderbergh? Peut-être que pour lui c’est simplement un truc qu’il avait envie d’explorer et voir s’il y réussissait? Dans le fond, ce mec doit s’emmerder. A force de vouloir faire tant de films?

Pour le BO, ce qui me gêne, mais dans le fond je m’en tape, c’est le côté qui est véhiculé communément partout : « Ca marche, donc c’est bon, ça marche pas donc c’est mauvais ». Si tu nous donnais ton point de vue hebdomadaire sur le BO, ça te permettrait de dire un truc et qu’on puisse y réagir ;-)

viktor a dit…

Hé bien comme on est arrivés au bout de la discussion sur le petit Steven je crois qu'on peut dire qu'on s'intéresse assez peu à ses soucis! En ce qui me concerne je n'attends rien de lui et s'il peut éviter d'être con en lançant des projets qui veut prendre à revers l'exploitation en salles je me contrefous même de ses petits soucis gastriques.

Le BO je m'en fous aussi pas mal, le commenter ça voudrait dire se taper au moins la moitié des films qui y entrent or, malgré mon côté très virulent sur certains sujets, je pense encore avoir une approche de spectateur lambda qui va au ciné quand il y a vraiment un truc qui le tente, pas par hasard ou parce qu'on a beaucoup parlé de...
Et puis l'exercice de commentaire de BO je l'ai fait pendant longtemps et ça tourne vite en rond. L'idéal serait que je voie un film par semaine et que je ponde un petit article dessus en expliquant pourquoi je suis allé voir ça et ce que j'en pense. Ton avis?

Anonyme a dit…

On a toujours crié à la mort du cinéma de tout temps. Depuis sa création jusqu'à aujourd'hui. Au départ c'était une attraction foraine, ensuite quand la TV est apparue, c'est la mort du ciné, ensuite quand la vidéo est apparue: c'est la mort du ciné, ensuite quand le DVD est apparu: c'est la mort du ciné, maintenant les téléchargements: c'est la mort du ciné. Tout ça, c'est de la foutaise.

Le cinéma, la sortie cinéma existera toujours. Aller au cinéma n'est pas rester chez soi à voir un film. Depuis l'arrivée de la TV (60 ans aujourd'hui) on a déclaré la mort des salles. Les chiffres continuent à chuter, certes mais on est encore loin de la mort des salles. Ceci dit avec l’arrivée de la HD et l’accroissement des parts de marché du home cinéma peut-être que les salles n’ont plus beaucoup de jours devant elles… Mais tant qu’aller au cinéma est un geste, une activité, une sortie entre potes avant d’aller ailleurs, les salles survivront.

Ne me cause pas de la mort des salles qui sont devenues des Tontons Tapis et autres Razmoquet ce n’étaient que des salles qui te vendaient la place à 8€ pour une projection sur un écran de la taille d’un timbre poste avec un son pourrit qui sort de la casserole de la grand mère. Les salles art et essai existent toujours et survivent très bien grâce à un système de financement européen nommé « Europa Cinéma » qui garantit une qualité et diversité de projection. Enfin, de toutes façons, aux states, ils estiment que la sortie cinéma, bien qu’étant en soit une source de revenus, n’est que la bande annonce du film en DVD et les droits de ventes TV… En gros, tant que la projection en salles de cinéma sera une « vitrine », elle survivra, si non, faudra inventer autre chose et ça que Soderbergh a voulu tester dans une démarche artistique cohérente et non purement mercantile.


Bein oui, va voir des films et commente-les! Au moins tu alimenteras les salles!!!

Bien subjectivement, ça nous changera des émissions sirupeuses comme la dernière en date, "Jour de fête" qui n'est qu'une pub pour les films et les "clients" présents sur le plateau!

Un point de vue bien indépendant de tout!

Perso, je vais au moins une fois par semaine. Deux le même jour quand je suis pas trop crevé.

viktor a dit…

Mon point de vue c'est que sur le long terme, avec la logique US dont tu parles où la sortie salle est juste une OP marketing pour lancer les produit à plus forte valeur ajoutée, les films qui squattent les écrans sont de plus en plus mauvais.
Ok c'est subjectif mais avec les méga multiplexes qui déchirent les yeux et les oreilles vont naturellement favoriser les grosses machines qui ont investi dans le marketing (autant que dans la prod et parfois plus) et/ou dans les gros effets spéciaux.
Sur cette logique les multiplexes se retrouvent comme des parcs à ploucs d'attraction, genre mini-futuroscopes, et les salles d'art et d'essai se surspécialisent dans leur coin avec des films de plus en plus intimisto-intello-chiants.

Ce n'est pas ma marotte de brailler sur la mort du cinéma, simplement il faut voir que depuis des années les chiffres bruts ne veulent rien dire : de moins en moins de gens vont au cinéma et c'est compensé au niveau des stats globales par le fait que ceux qui y vont y vont plus.
Bref le cinéma est de moins en moins un loisir populaire qui rassemble tout le monde mais un loisir hyperspécialisé, hyperciblé sur les 15-35 ans.
C'est ça qui me déplait : on fait des films calibrés pour cette tranche d'age formattée pour le fast food et forcément on se coupe petit à petit d'attentes un peu plus hautes, présentes chez tout le monde, et beaucoup de monde se contente de la télé parce que l'offre ciné n'est pas assez variée et aussi parce que les cinés ont déserté les petite villes (facile de sous-estimer ça quand on habite dans une grande ville avec 15 salles dont une ou deux indépendantes).

Je regrette de ne pas aller plus souvent au ciné en ce moment. Pour te dire j'ai plannifié depuis un mois d'aller voir Spartacus au Max Linder ce mardi. Après c'est une question de reprendre un bon rythme mais comme tu as pu le lire sur le blog j'ai été vraiment très déprimé par Lord of War et je ne me suis plus risqué dans les salles.
N'hésite pas à me conseiller des films, et si tu veux publier tes impressions ici il suffite que je te créé un compte.
A+