jeudi 30 juin 2005

En-dessous du seuil de médiocrité

Il y a deux mois j'avais trouvé assez sévère les conclusions d'un profil de Sydney Pollack dans Slate.

C'était avant d'aller voir L'Interprète, auquel j'ai finalement laissé sa chance malgré une envie nettement en-dessous du seuil de déclenchement. Autant dire que mon niveau d'attente était très faible mais que j'ai finalement succombé aux 2-3 arguments de vente du film : Kidman + Penn + thriller politique dirigé par Pollack. Bon ok l'argument décisif c'était quand même qu'à la fête du cinéma, pour 2 euros, on peut se permettre d'aller voir des daubes.
Tu l'as dis bouffi ! Je ne pensais quand même pas voir un film aussi mauvais à tous les niveaux. Oui, désolé pour Darius Khondji et les autres qui se sont évertués à rendre ce film joli mais tout leur boulot ne sert à rien quand la médiocrité et la paresse sont aux commandes dans le triangle producteurs-réalisateur-scénaristes.

Dernière scène de pathos pitoyable du film entre le deux têtes d'affiche : "Quelque part j'ai envie de te dire la vie c'est dûr, mais dans 9-10 ans on sera assez forts pour s'appeller et se faire des trucs spiritualo-exotico-romantiques en Afrique."


Bref Sydney Pollack est assez vieux pour prendre sa retraite et défendre tout seul la médiocrité assistée de ses films.
Mea culpa. Dorénavant j'y regarderai à deux fois avant de défendre des faiseurs plus ou moins arrogants selon qu'ils sont bien entourés ou pas.

Ma critique sur Imdb

3 commentaires:

Raphaël Zacharie de Izarra a dit…

ELOGE DE LA MEDIOCRITE / PROCES DE L'INTELLIGENCE

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ELOGE DE LA MEDIOCRITE

J'aime la médiocrité. Conspuée par l'ensemble des hommes, la médiocrité est un refuge à portée de main, d'esprit. A portée d'homme.

A ma portée.

La médiocrité ne m'effraie point, au contraire. Je la recherche, la cultive, la savoure comme du pain jeté à terre. Les sots la fuient comme la peste. Les médiocres du monde entier eux-mêmes feignent de la mépriser. Pourtant la médiocrité n'est-elle pas le ciment universel de l'humanité ? Tous les hommes de bonne volonté devraient se reconnaître à travers la médiocrité au lieu de se jurer mutuellement de n'être pas liés entre eux par cette caractéristique fraternelle... Hélas ! La médiocrité est le patrimoine humain le plus décrié, l'héritage universel le moins apprécié...

Entretenir la médiocrité est l'apanage des penseurs modestes proches des vérités quotidiennes, débarrassés du poison commun de l'orgueil. C'est surtout une manière de briller autrement. Les beaux esprits aiment leur médiocrité. Luxe des belles gens, la médiocrité revendiquée, affichée, portée aux nues est une gifle hautaine assénée à tous les petits coqs infatués de leur plumage crotté qui clament sans crainte du ridicule n'être point médiocre, ne pas l'aimer, la fuir...

La médiocrité protège souverainement ses adeptes des fausses certitudes. Elle les préserve de bien des tempêtes, certes éclatantes mais inconfortables. La médiocrité est un fauteuil percé dans lequel aiment à se laisser bercer les gens persuadés d'être à leur place.

Je suis un médiocre convaincu : je dîne au rabais, me contente des petites pluies passagères, pioche au hasard de la vie, prends garde à mes pieds pour économiser mes semelles, fais les choses à moitié de peur d'aller trop loin, suis mitigé dans mes avis les plus manichéens, tiède avec mes ennemis, partagé entre coeur et raison. Je suis tellement à mon aise dans ma médiocrité que non seulement je ne sens nullement le besoin d'aller voir ailleurs mais en plus, fierté des âmes humbles (beaux esprits par définition), j'éprouve le besoin de communiquer à la terre entière mon bonheur d'être médiocre.

Raphaël Zacharie de Izarra

PROCES DE L'INTELLIGENCE EN TROIS TEXTES

1 - Défense de la sottise

La sottise est le dernier rempart efficace contre la suprématie inique des beaux esprits qui ne gagnent leur cause qu'avec la lâche, fourbe, insidieuse subtilité de leur pensée.

L'intelligence est torve, sinueuse, secrète. La sottise est franche, directe, claire. L'intelligence aime les énigmes, se complaît dans le mystère, se masque avec éclat. La sottise méprise l'obscurité, fuit l'hermétisme, se dévoile sans ambages. La sottise n'a rien à cacher, rien à prouver, rien à vendre, tout à perdre. Donc rien à gagner. L'intelligence caresse, séduit, convainc avec des fioritures de langage. La sottise cogne. Elle n'use d'aussi vains détours indignes de tout bon sot qui se respecte.

Le sot aime les carottes, les navets et les soupes chaudes. Le bel esprit ne se préoccupe que d'affaires qui ne se mangent pas. Et qui vient se plaindre de crever de faim quand vient la bise ? Le sot ne porte pas le regard plus loin que son sillon. Le bel esprit le raille. Et qui vient crier famine l'hiver venu ? Le sot n'argumente pas, il frappe. En cela les faits lui donnent toujours raison, la loi en vigueur ici-bas étant celle du plus fort.

Les sots ignorent l'alchimie étrange de la terre mais eux au moins y font pousser patates, poireaux, tomates. Les sots ne savent rien des mystères cosmiques, mais ils ont de quoi tenir l'hiver. Ils n'ont rien dans la tête mais tout dans les poings.

Les sots n'ont pas d'amis mais plein de bois pour leur feu. Ils sont seuls mais heureux de l'être. Ils sont dépourvus d'intelligence et sans malice, sans ironie, sans vanité peuvent s'en vanter.

Raphaël Zacharie de Izarra

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2 - Éloge de la bêtise

Je chéris et loue la bêtise. La bêtise est une haute qualité, une authentique vertu, le rempart absolu contre la souveraine et tyrannique intelligence qui l'écrase, la méprise, la persécute. La bêtise est l'apanage de ceux qui sont totalement dépourvus d'intelligence, et qui sont par conséquent remplis de saines certitudes, d'inébranlables convictions, de salutaires illusions. La bêtise empêche de trop penser, elle pousse à l'action irréfléchie. Elle éloigne et préserve fatalement l'être de la pensée stérile, creuse, futile.

La bêtise rend toujours heureux tandis que la réflexion angoisse. La bêtise résout tous les problèmes de la pensée en éliminant tout simplement la pensée. Le penseur se crée des problèmes, l'intelligence est inconfortable parce qu'elle pose des questions embarrassantes à l'homme. Les gens intelligents se posent toujours des questions insolubles. Alors que les gens sots ne se posent tout simplement pas de questions : voilà le secret de leur bonheur.

Les gens stupides cultivent leur jardin sans plus se poser de questions. Les gens intelligents se préoccupent plutôt du temps qu'il fait au-dessus de leur tête bien faite et en oublient totalement leurs activités horticoles. Ils s'y désintéressent parfaitement, préférant se torturer l'esprit avec des choses qui, aux yeux des gens bêtes, n'en valent pas la peine.

D'où la supériorité de la bêtise sur l'intelligence qui force l'heureux élu à cultiver son jardin. Et avec coeur encore. Alors que l'intelligence ne fait rien pousser du tout sous les pieds de ses victimes bien pourvues.

Raphaël Zacharie de Izarra

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3 - Encore un éloge de la bêtise

La bêtise est le privilège de ceux qui ne sont pas habités par la vaine et méprisable intelligence.

L'intelligence, ce vernis de l'esprit... Cet habit d'apparat hautain et superficiel, cet artifice cérébral indigne de l'Homme, cette pollution mentale qui dénature si bien les pensées et met plein de mollesse dans le cerveau à la manière des substances nocives que l'on nomme héroïne, cocaïne, Marie-Jeanne... L'intelligence est un poison dangereux et la bêtise est son naturel antidote.

L'intelligence empêche l'action, elle freine l'instinct et la saine pensée primaire. L'intelligence oblige les gens à penser de plus en plus et donc à faire des études, à se lancer dans la recherche. Elle excite la curiosité et génère maintes questions aussi difficiles qu'inutiles. En un mot l'intelligence pousse à la réflexion et de par ce fait empêche de vivre. Il est tellement plus agréable, plus facile de ne point penser et de se laisser guider par l'instinct, l'ignorance, l'innocence, ou par l'autorité ecclésiastique, politique, syndicale...

Obéir sans penser, n'est-ce pas l'assurance de ne jamais commettre d'erreur par soi-même ? Jamais de remords avec la bêtise, puisqu'elle excuse à peu près tout. Alors que l'intelligence est au contraire un facteur de responsabilités pénales, morale, professionnelle. Plein d'ennuis en perspective avec l'intelligence...

La bêtise heureusement empêche le développement de la pensée : c'est le confort de l'esprit par excellence. La bêtise est l'apanage des authentiques esthètes soucieux de leur qualité de vie.

Raphaël Zacharie de Izarra
2, Escalier de la Grande Poterne
72000 Le Mans
FRANCE
Tél : 02 43 80 42 98
raphael.de-izarra@wanadoo.fr

viktor a dit…

Oui ça pourrait être intéressant mais pour commencer ce n'est pas le sujet (es-tu un spécialiste de la médiocrité au point de ne pouvoir t'empêcher de t'étaller partout ?).
Tu vois je n'oppose pas médiocrité et intelligence. Mais autant l'intelligence (ou tout ce que le commun des mortels voudra distinguer comme qualité a priori) n'est pas un acquis autant la médiocrité ne demande aucun effort alors qu'il est encore possible de tomber de là dans la nullité, l'insignifiance, le parasitisme...
Bref bravo, tu ne veux pas chercher plus loin mais rien ne te dit que tu ne vas pas tomber plus bas à force de contempler ta propre médiocrité.

Raphaël Zacharie de Izarra a dit…

DEUX TEXTES ENTRE CIEL ET TERRE

1 - L'EVEIL

L'homme étendu à même le sol contemple la voûte étoilée, l'oeil noyé dans l'infini. Il sait le spectacle ultime. Tout à sa béatitude, il se laisse aller au vertige avec des sourires doux et désespérés. Le sentiment d'absolu qu'il ressent face aux étoiles éparpillées dans la nue est à la hauteur de sa détresse. A la vue des astres scintillant dans la nuit, une ivresse inédite l'envahit.

Résigné, il admire les étoiles, n'ayant plus rien d'autre à faire. Comme s'il attendait une porte ouvrant sur quelque éternité.

Depuis la boue séchée où il est allongé, la beauté du monde lui apparaît magistrale, suprême. Inénarrable. Cet homme a conscience d'être. Aussi s'attarde-t-il sur le ciel nocturne, l'âme de plus en plus légère, le corps de moins en moins présent. Puis il tourne la tête sur le côté. Sur le tas d'immondices où il agonise dans l'indifférence générale, il distingue son bras squelettique, sa main comme une poignée d'os, son flanc décharné, sa peau lépreuse. Déconnecté de ses étoiles, il reprend immédiatement contact avec l'abjecte réalité. Alors il décide ne ne plus voir que le ciel : dans un geste dérisoire et pathétique il détourne le regard du sol et le dirige définitivement vers le cosmos, le corps comme un haillon, l'âme comme une flamme.

C'est un sans-nom de Calcutta né dans la misère, fait pour la misère et crevant dans la misère. A quelle époque sommes-nous ? Quel âge a ce malheureux ? Peu importe ! C'est une ombre qui gît dans un coin de l'enfer terrestre parmi ses semblables passifs, sourds à sa souffrance. Cet homme qui a toujours connu la misère, le malheur, la faim, le désespoir accède ce soir à la beauté de manière fulgurante, la sensibilité exacerbée par l'approche de la mort. Le ventre vide, le corps malade, le moribond s'extasie sans bruit sur le mystère de cet univers où il a enduré son long calvaire de miséreux. Venu sur terre pour souffrir, il interroge longuement le ciel sur sa terrible destinée, magnifiquement réconforté par les lumières de la nuit cependant.

Puis dans un râle d'agonie pitoyable, atroce et presque insignifiant tant le monde qui l'entoure est insensible à son sort, l'inconnu au corps nu rend l'âme les yeux fixés sur le firmament.

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2 - MISERE

(Voici une vision issue des flâneries étranges de ma pensée. Précisons que la rue où j'habite consiste en un escalier antique, dans le quartier historique du Vieux-Mans, sur des remparts gallo-romains.)

Un matin en sortant de chez moi, mon univers changea inexplicablement.

En ouvrant la porte donnant sur l'escalier public, je passai de l'ombre feutrée à la lumière brutale. Le choc. Dans la rue, un soleil cru, inhabituel. Chaleur suffocante, atmosphère dantesque. Partout, des maisons vétustes, délabrées, tristes, aux fenêtres cassées, opaques, aux briques noircies par la pollution, la crasse.

L'escalier huppé était devenu de larges marches anonymes, brisées par endroits, jonchées de détritus, couvertes de poussière. Sans aucun intérêt architectural. D'un coup je conçus tout ce que sous-tendait ce lieu terne : le règne de la misère.

De cet escalier émanait une tristesse infinie, un désespoir affreux, une odeur de mort. Image fidèle d'un quartier calamiteux de Calcutta au dix-neuvième siècle. Le Mans était devenue une atroce Calcutta.

(Je parle bien sûr non pas de la flatteuse Calcutta, refuge des Arts et des Lettres, mais de l'autre, de l'ignoble Calcutta, asile d'une extrême, révoltante misère : célèbre image stéréotypée renvoyée au monde entier.)

Décor désespérant : là, l'électricité n'existait pas, n'avait jamais existé. Ni l'élémentaire confort citadin. J'étais dans une ville sans voitures, sans magasins, sans néons, sans FNAC, sans panneaux publicitaires, sans plus rien de ce qui était mes repères habituels. Tout avait disparu. C'était ça ma ville.

En haut de l'escalier, un spectre : un enfant portant des lambeaux de vêtements. Crasseux, pouilleux, avec un corps famélique... Misérable mais encore souriant. Un autre petit être décharné le suivait. Ils se mirent à jouer avec des cailloux, des morceaux de bois sales. En bas des marches, un vieux mendiant en train de mourir dans une banale indifférence. Des silhouettes en haillons passaient devant lui. A ses pieds, une sébile de bois. Vide.

Misère.

J'explorai la ville. Au lieu de la place centrale et ses beaux édifices, ses lumières, ses boutiques de luxe, ses halls nets, au lieu de tout cela, une cour des Miracles, un mouroir à ciel ouvert, une assemblée de lépreux, d'éclopés, de mort-vivants... Des gueux fantomatiques errant sous une insupportable chaleur, dans des odeurs incertaines. Charognes, tanneries, effluves de cuisine immonde ? Impossible de savoir.

Plus loin dans la rue Gambetta je passai devant une boulangerie sordide, un trou à rat. Je devinais tout à la simple vue des choses : pain fade au goût de sciure. Le seul pain qu'on pût manger dans cette ville. Avec des pommes aigres qu'il fallait cueillir sur les bords nauséeux de la Sarthe. Le pain et les pommes sauvages, uniques aliments de ce monde... Et ce pain, je ne pouvais le manger : trop pauvre je me découvrais. Cela dit, je savais confusément qu'on me laisserai prendre de ce pain, invendu, devenu dur comme du bois.

Misère. Misère. Misère.

Condamné à vivre dans ce monde pour le reste de ma vie, je regardais en face l'insupportable vérité. C'était inéluctable, irréversible, terrible comme un verdict tombé du Ciel. Impossible d'échapper au destin. Je devais me résoudre au sort, survenu du jour au lendemain sans aucune explication.

Accepter ma nouvelle condition était la seule chose concevable, conscient que le monde laissé derrière moi était définitivement perdu. Plus d'Internet, plus d'électricité, plus d'aliments variés, plus jamais. Plus de boissons fraîches diverses, ni de lit confortable, ni de sécurité... Plus rien de tout cela. Il me fallait désormais vivre comme un mendiant de Calcutta du dix-neuvième siècle dans un monde d'ordures, de fange, de faim, d'absolu dénuement.

Je mesurais l'horrible détresse de ma situation. Des millions d'hommes ayant vécu une semblable misère défilaient en mon esprit. J'étais devenu leur frère d'infortune. A la différence qu'eux n'avaient connu que ça toute leur vie. Moi, j'expérimentais l'état extrême de la pauvreté, après avoir connu l'état extrême de la richesse. C'était d'autant plus cruel que rien ne m'avait préparé à ce mystérieux bouleversement de mon existence : en ouvrant la porte de chez moi, j'étais passé de manière parfaitement incompréhensible d'un monde d'abondance, de nantis repus à un monde d'affamés, de malheur.

J'étais en train de vivre ce qu'avaient vécu ces millions de déshérités. La misère n'était plus une abstraction. J'étais là, à la place de ceux qui l'avaient vécu dans leur corps, leur âme. La misère, la vraie, l'authentique, celle endurée par des hommes de ce monde, de cette Terre, de cette Humanité, la misère éprouvée dans leur chair, dans leur vie quotidienne, la misère maudite...

Cette misère-là, je la vivais à cet instant et pour toujours, sans espoir de retour. Je la vivais dans cette ville qui était la mienne, dans cette cité décrépite qui s'appelait Le Mans, qui était concrète, pleine de crasse, de grisaille, de détresse, qui n'était ni un rêve ni une conception virtuelle, mais une ville d'hommes.

J'étais en enfer.

Textes de Raphaël Zacharie de Izarra
2, Escalier de la Grande Poterne
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