vendredi 20 février 2009

Le calme après la tempête

Avec toute la lourdeur de sa démarche, Besson aura au moins eu le mérite de susciter des réponses (notamment celle de Maitre Eolas donc) qui permettent de bien recentrer le débat sur le téléchargement d'oeuvres audio ou vidéo sur Internet.

Le vent a soufflé dans tous les sens, il s'agit maintenant de trouver une approche constructive. Mon point de vue ici a toujours consisté à dire que, pour commencer, le cinéma coûte trop cher : combien de couples ai-je entendu se plaindre que pour emmener leurs enfants un dimanche c'est tout de suite 50 euros déboursés, donc de plus en plus exceptionnel comme dépense. Or le cinéma ne peut pas fonctionner sur quelques films familiaux dans l'année, quelques blockbusters américains, un Grand Bleu (8 millions d'entrées en 88) les années bissextiles et un Ch'ti tous les 40 ans.

L'arbre qui cache la forêt a été la sortie de la carte UGC et la généralisation des formules d'abonnement à l'année. Pour une vingtaine d'euros par mois on peut donc aller voir autant de films que l'on veut dans un certain circuit de salles. A côté certains peuvent aussi avoir des places à moins de 5 euros par leur comité d'entreprise, mais s'ils perdent leur job, comme beaucoup de gens en ce moment, ils doivent alors payer plein pot (8 à 10 euros !). Ce que les chiffres de la fréquentation ne disent pas c'est que de moins en moins de français vont au cinéma. Ceux qui ont une carte, eux, y vont au moins 3-4 fois par mois, mais ils sont une population limitée avec une carte illimité.

Le mot d'ordre dans les années 90 était à la modernisation du parc de salles. Concrètement il s'agissait de bâtir puis d'amortir des grandes surfaces du cinéma. Aujourd'hui que la plupart des multiplexes sont amortis, il ne faut évidemment pas compter sur UGC ou Pathé/Gaumont pour baisser leur marge d'exploitation. J'ai souvent mentionné l'anecdote des tarifs agressifs lancés à Lyon à l'été 1994 (et dans d'autres villes aussi à l'époque) avec la place à 10 francs, à peine plus d'1,50 euros ! Les salles étaient prises d'assaut, comme pendant la Fête du Cinéma d'ailleurs, qui ne profite qu'à une poignée de films qui se pressent de sortir fin juin). Il n'y a pas eu besoin de tribune dans Le Monde : tout c'est passé en coulisses et les (trop) audacieux exploitants ont été remis dans le droit chemin, pour le bien commun du 7e Art...

Ce qui se passe aujourd'hui avec Internet suit le même monologue pontifiant sur la défense des artistes, mis en scène par ceux qui font travailler les artistes (et qui leur soumettent une pétition de temps en temps). A Besson qui compare d'un bloc pirates/hébergeurs/régies pub/annonceurs à des dealers, je propose une bien meilleure analogie éditeur/proxénète (Desproges l'utilise dans son réquisitoire contre l'éditeur André Balland - 4/11/82). L'hypocrisie est moins directe pour Besson qui met son nom sur la majorité des scénarios Europacrap (à noter qu'il n'y a que 1% de charges patronales sur les contrats d'auteur), il n'empêche que c'est le même raisonnement. Luc Besson, comme Universal, Pathé et tous les éditeurs audio/video se sont gavés pendant des années. Le DVD a été une manne incroyable. Coût de production/distribution/promotion 2-3 euros (5 euros pour des éditions spéciales) et marge nette de 70%. Seuls les parfums font toujours mieux avec 90-95% !

Aujourd'hui le DVD est clairement une technologie en fin de vie, Maitre Eolas rappelle qu'elle a 14 ans (la VHS a eu une existence mass market de vingt ans), mais les éditeurs ne peuvent pas supporter cet état de fait. Comme ils ne peuvent pas changer l'ordre de leurs idées ils veulent changer la loi. Exactement comme des sales gosses, mauvais perdants, qui s'énervent et commencent à tricher, à faire des coups bas. J'appelle ça le syndrome de l'oncle Picsou.

LE CINEMA SEUL FACE A INTERNET

Maintenant, inconsciemment ou pas, ils ne se sentent peut-être pas prêts à répondre à la pression technologique venue d'Internet. La seule réaction censée de leur part serait de revoir tout le pricing de la chaîne, depuis la sortie en salle jusqu'aux téléchargements. Un plein tarif au guichet couterait 5 euros. 2-3 mois plus tard le DVD collector serait à 10 euros ou 3-5 euros pour une édition basique. En même temps le téléchargement du film seul serait proposé à 3 euros (càd 2,99 euros).

Très compliqué de faire comprendre ça à ces têtes de lard. Ils campent sur leurs positions, leurs gros comptes en banque et leurs petits pouvoir de PDG à paillettes. Ils préfèrent retarder l'avènement d'une offre de téléchargement simple et ouverte qui serait une telle innovation commerciale qu'elle ébranlerait leurs beaux chateaux de cartes hérités du siècle passé.

Ce qui leur pend au nez : une offre va finir par émerger. Ils ne seront pas préparés et ils vont devoir courir derrière, dépensant beaucoup plus d'énergie et d'argent que s'ils se mettaient au travail sérieusement tout de suite et arrêtaient d'essayer d'allumer des contre-feux avec des pétards. Je remarquais le mois dernier que ça fera 10 ans en 2009 que le Projet Blair Witch est sorti sans qu'un autre film ne fasse autant de bruit sur Internet. Hé bien, je suis prêt à parier que le prochain fera tellement de bruit sur Internet qu'on n'entendra plus Besson grommeler que lui, il est un pauvre artisan du 7e Art, et que ce qu'il aime avant tout c'est donner beaucoup bonheur aux gens.

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