dimanche 7 septembre 2008

Babylon A.D. : chronique d'un ratage planifié

2002 : quand tout a commencé

Mathieu Kassovitz a eu comme projet d'adapter Babylon Babies, roman de Maurice G. Dantec, en 2002. Enflammé après avoir lu le livre quasi d'une traite ("Je l'ai lu en une ou deux nuits. Et je me suis dit que cela ferait un bon film... de six heures! Pour un budget de 500 millions d'euros!") il se porte acquéreur des droits de l'adaptation via sa société de production MNP et celle de Christophe Rossignon, son fidèle producteur depuis ses derniers courts chez Lazennec jusqu'à Assassin(s).
Le développement du projet commence, Eric Besnard est engagé pour écrire les premières versions de l'adaptation en défrichant avec Kasso les 700 pages du roman.

2003 : Gothika, les chiens aboient et la caravane passe

En 2003 Joel Silver propose à Kassovitz de tourner un petit film d'horreur, destiné à ramasser quelques millions de dollars lors d'une sortie pour Halloween. Le réalisateur français se défend à l'époque de cette nouvelle commande (après l'adaptation des Rivières Pourpres) en expliquant que c'est pour gagner de la crédibilité auprès des studios ricains, et en passant de prendre la mesure d'un tournage du côté de Montréal. Gothika fait son petit résultat, personne n'y voit un film intéressant et le développement de ce qui s'appelle encore toujours Babylon Babies continue.

2004-2006 : la vie est une longue rivière pourpre

Trois années pleines de développement. La pré-production proprement dite commence à la mi-2006 et le tournage fin 2006. Evénement marquant de cette période : Christophe Rossignon lâche très vite le projet et c'est Alain Goldman, producteur de Kassovitz sur les Rivières Pourpres, qui reprend les rênes.

De mauvais augure ? On dira toujours que c'est facile d'analyser après coup, néanmoins voilà quelques faits précis : Rossignon a produit les films "personnels" de Kasso, de Métisse à Assassin(s), ceux où le réalisateur avait un univers à mettre en image. Par la suite Rossignon n'a pas produit de films extraordinaires mais il s'est toujours montré très avisé dans ses choix. Goldman est, disons, plus flamboyant. Il atèle Kassovitz et Grangé à l'adaptation du roman de ce dernier : Les Rivières Pourpres. Le scénario n'est pas bouclé, il faut se dépêcher pour tourner dans les Alpes en hiver : le film se fera avec une fin bâclée qui en a désorienté plus d'un (surtout ceux qui avaient lu le livre d'ailleurs). Les scènes en haute montagne dans la neige seront d'ailleurs particulièrement compliquées : déjà des problèmes d'anticipation des contraintes climatiques ? Laissons le bénéfice du doute sur la question de l'anticipation à ceux qui font des films d'anticipation...

2007 : tournage de BB qui devient officiellement BAD

Faut-il rappeler les problèmes du tournage ? On n'est pas dans le mythique-épique-tragique de Stalker, mais juste dans le pitoyable malheureusement. Dépassement de budget (un lac slovène pas gelé, le réchauffement climatique a bon dos...), mauvaise ambiance du fait du stress accumulé (hé oui ça coûte cher de nos jour le baril supplémentaire de Vin Diesel) et rallonge de la compagnie d'assurance du film qui met donc le grappin sur des parts du négatif (news du 24/07/07). La Fox aux commandes a de moins en moins envie de rigoler, mais essayez d'imaginer la tronche de ceux qui ont mis des billes dans l'histoire pour couvrir le long développement...

2008 : bientôt dans les salles et direct to oblivion

Kasso a vu son beau bébé lui échapper. Ce pet project qu'il a couvé pendant 4 ans, et qui devait lui permettre d'enfin clouer le bec aux critiques, avait l'ambition d'être un nouveau Blade Runner. Aigri, il avoue se contre-foutre du sort du film qu'il décrit comme "violent et stupide".

Le film sort dans l'indifférence quasi-générale. Le marketing le fait quand même exister en marge du box-office mais l'oubli arrive à grandes cannes :
In its marketing, the Vin Diesel vehicle looked like just another futuristic chase picture and that's what it turned out to be, opening on par with Johnny Mnemonic and Ultraviolet among past disappointments in the mostly unpopular sub-genre.
(Boxofficemojo.com 2-sept-08)
Johnny Mnemonic et Ultraviolet, on pouvait rêver meilleure comparaison, et pourtant niveau genre (futuristic chase) et box-office on est dans la plaque, soit tout juste $20m au Box-Office US en fin de carrière.
Pour info le budget était de $70m.

1997-2008 : Kasso rama

Je me souviens que Kassovitz avait une analyse intéressante sur le plantage intégral de Blueberry (Muraya machin, un truc de Jan Kounen) : est-ce qu'il prendra ses propres responsabilités sur Babylon Babies, un accident industriel planifié avec soin longtemps à l'avance ? (1) Toujours est-il qu'il a perdu ses derniers fans de la première heure, ceux qui voulaient bien être indulgents depuis Assassin(s) et qui voyaient en lui autre chose qu'un enfant gâté du cinéma qui a très vite les yeux plus gros que le ventre.
Il a eu des opportunités de faire (presque) ce qu'il voulait, il a fait n'importe quoi.

En 1997 on attendait beaucoup de Besson, Kassovitz et Kounen pour lancer une dynamique. Tous les trois, encensés comme ils l'ont été pour leur talent (à des échelles différentes) ont tout foiré. Besson se cache derrière son pouvoir de businessman et crèverait plutôt que de faire éclore de nouveaux talents, Kounen s'est avéré n'être qu'un virtuose fumeux et Kassovitz est tombé dans ce piège classique en France où le talent, une fois reconnu, est acquis pour la vie. En France les diplômes conditionnent les gens, pas pour le ciné heureusement (ça se saurait si la Fémis était capable de créer le talent de toutes pièces) mais le microcosme de la profession fait qu'une fois dedans, une fois inscrit sur les tablettes de l'avance sur recettes, on est déjà arrivé. Aux USA, où on produit tant de bouses (pas dit qu'en proportion on soit meilleurs en France), "you're only as good as your latest movie". En France Kassovitz bénéficie encore de sa réputation acquise grâce à La Haine. Ohé ! C'était il y a 13 ans. Il faudrait se réveiller ; les spectateurs vont de moins en moins dans les salles (oui, une carte d'abonnement par-ci, un Ch'ti par là, ça cache bien la forêt) et pour qu'ils croient à la Belle au Bois-Dormant, il faudrait leur proposer des films merveilleux.

EDIT: pour les centaines de lecteurs qui ont atteri ici en cherchant , via google, les sous-titres du DivX (enfin XviD) de 730 Mo, le mieux est de passer directement par OpenSubtitles.org (et encore mieux, de ne pas perdre son temps à regarder des films nuls).

1 commentaire:

viktor a dit…

(1) Perdu : dans l'interview qu'il donnait pour le Technikart de ce mois-ci Kasso balance Alain Goldman. Pas beau ça. Il lui reproche de "n'avoir pas fait son boulot de producteur", de s'être lavé les mains de tous les problèmes qui se faisaient jour.

Le plus drôle c'est que le même Kasso était super enthousiaste lorsque Goldman l'a contacté pour adapté les Rivières Pourpres, disant en substance que ce mec qui avait produit 1492 de Ridley Scott (Depardieu en Christophe Colomb) à 27 ans, était, sinon un génie, un grand producteur avec des cojones comme ça !

Comme quoi, le plus gros défaut de Kasso c'est le déséquilibre entre son intransigeance (qu'il se complaît à voir comme une authenticité soigneusement défendue, quoique fossilisée) et son défaut de jugement des gens.
Et le ciné étant un travail éminemment collectif, où on doit vite identifier les gens compétents pour ne pas perdre son temps (et l'argent des autres), c'est dur à cacher un tel défaut. Quant à le combler, dans la mesure où le mec ne peut plus se remettre en question maintenant, c'est foutu.

Technikart - oct.08