dimanche 12 novembre 2006

Steven-le-petit et les Golden Forties

Je ne suis pas fan de Soderbergh. Pour moi c'est un enfant gâté qui n'a jamais rien démontré d'extraordinaire mais a toujours eu le soutient d'une frange influente des médias. Je considère Traffic comme son meilleur film mais c'est loin d'être un chef d'oeuvre : le meilleur y cotoie le plus lourdingue hollywoodien. Au final tout se tient parce que les parties lourdingues (Zeta-Jones et Douglas) sont quelques part justifiées par le poids de ce trafic qui n'existe avant tout que part des mots, des chiffres entre Washigton et LA, avant d'être la réalité du crime organisé.
Quand Soderbergh fait son malin avec un film direct en HDV (quelqu'un se souvient du titre ?) pour le sortir en salles et en DVD simultanément j'y vois encore l'enfant gâté qui s'agite pour trouver de nouvelles manière de s'amuser en essayant de passer pour un pionnier.
Maintenant c'est l'inverse : à l'image des intellos blasés de l'Oulipo il s'est créé comme contrainte de faire un film à l'ancienne, dans les conditions qui étaient celles de Michael Curtiz (un excellent ouvrier de l'âge d'or hollywoodien mais dont le succès des films dépendait du matériau qu'on lui donnait à filmer, ainsi personne n'a-t-il jamais compris comment Casablanca a pu voir le jour entre les contraintes des studios et les difficultés de Curtiz à se faire comprendre sur un plateau avec son accent hongrois) :
“I often think I would have been so happy to be Michael Curtiz,” Mr. Soderbergh said. Mr. Curtiz, the contract director, made more than 100 films for Warner Brothers, including “Casablanca” and “Yankee Doodle Dandy,” between his arrival in Hollywood from Hungary in 1926 and his death in 1962. “That would have been right up my alley,” Mr. Soderbergh said, “making a couple of movies a year of all different kinds, working with the best technicians. I would have been in heaven, just going in to work every day.”
Bref Soderbergh avoue qu'il aimerait n'être qu'un ouvrier, qu'il est plus du côté des amoureux de la caméra qui ont besoin de tourner pour vivre que des metteurs en scène perfectionnistes qui mettent des années à penser leur film. En soit c'est mieux pour le cinéma : à part quelques pointures qui marchent dans les traces de Kubrick qui peut avoir la prétention d'être génial au point qu'un film doivent attendre une maturation individuelle ?
Bref avec The Good German Soderbergh travaille sous la contrainte et ça a le mérite de faire parler de la technique à défaut de n'avoir plus qu'à s'extasier du résultat final.
“The rule was, if you can’t do it with a boom mike, then you can’t do it,” Mr. Soderbergh said. “Which was helpful to me because, in talking to the actors about this very externalized performance mode I was going to ask them to assume, it helped to be able to say, ‘You have to talk louder, you have to project more, because I’m not getting a good enough track.’ ”

Unlike the Method mumble currently in style in American movies, the dialogue in “The Good German” is spoken in crisp, clearly enunciated stage English, emphasizing presentation over interpretation.

Juste à la suite de ce passage Tobe Maguire raconte qu'il était surtout fasciné par la capacité du réalisateur à avoir son montage en tête et donc à ne filmer que les plans nécessaires à son découpage personnel. C'est toujours impressionnant, c'est vrai, mais surtout pour ceux qui n'ont pas bossé en amont sur la prod. Les producteurs aiment ça parce que c'est très économique et en plus le tournage prend vite un rythme de croisière avec toute l'équipe rassurée par l'assurance du capitaine. Maintenant je trouve Kurosawa plus honnête dans cette démarche où il filmait son approche mais laissait carte blanche à un assistant opérateur pour cadrer ses propres angles, ses propres cover shots, montrant ainsi autant son assurance que son humilité face au travail de mise en scène.
Soderbergh il enchaîne les films (et beaucoup aimerait pouvoir enchaîner autant de films) mais personne ne le challenge. D'une part il a été reconnu très tôt comme un auteur et les producteurs toujours à court de talent, et encore plus de talent bankable, ne peuvent pas le remettre en question ; d'autre part il coupe court à la critique en essayant toujours de faire des films différents. En fait il ne se lance pas lui-même des défis, il se fait plaisir en touchant à tout, comme un gosse dans un magasin de jouet. A quel âge en aura-t-il marre de s'amuser tout seul ? Peut-être qu'il sera trop imbu de lui-même pour se rendre compte qu'il n'a pondu aucun grand film et s'enfermera chez lui, seul avec son cinéma, ou peut-être il disparaitra de la circulation en voyant que tout ça ne l'a mené nulle part.
En tout cas, malheureusement, dans cette fuite en avant il n'est pas parti pour faire des films plus personnels. Tant pis pour nous, tant mieux pour lui :
"Beati pauperes spiritu..."

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