lundi 31 janvier 2005

Le Seigneur des Galettes (et du gros pot de beurre)

\suite de l'entrée précédente/

Pour faire simple : avec le DVD un film peut maintenant se planter en salles et quand même rapporter de l'argent. Luc Besson, aujourd'hui retraité du cinéma et recyclé dans ce genre de calcul (comme ça il n'a même pas besoin de s'encombrer avec de jeunes talents pour s'amuser dans son rôle de mandarin-calimero, grand défenseur du cinéma français) nous avait ainsi pondu Michel Vaillant, un gros produit batard déjà quasi à l'équilibre financier sur la base du pré-financement et qui a fini par rapporter de l'argent via les éditions DVD (deluxe et standard) poussées en tête de gondole. Evidemment ça rapporte moins qu'un gros Taxi à ralonges qui roule mais, comme la consommation de DVD est massive et impulsive, un navet fourré à l'action/sfx bénéficie d'une deuxième chance.

Bref tout ça pour dire que cet article du NY Times tombe à point nommé pour mettre de l'huile sur le feu dans la fange de mon moulin. Le site MCN souligne qu'un tel article est d'autant plus important que la réalité financière du DVD est un secret jalousement gardé. Pour reprendre une part de l'image du titre, je dirais aussi jalousement gardé que Golum peut s'attacher à son anneau trouvé par hasard.

"For a long time, the film business was a single-digit business on investment return," said Charles Roven, the producer of "Batman Begins" from Warner Brothers, a division of Time Warner. "Now, because of home video, it's a low double-digit business, and the studios want to make sure it doesn't go back into the single-digit business."


C'est pas vraiment une loi économique, mais le business s'accommode des réalités surtout quand il y trouve son compte.
En plus de fournir des chiffres durs à rassembler (sans acheter des études à plusieurs milliers de dollars) l'article présente deux grosses dérives du cinéma que le DVD est en train de prolonger.

D'abord il y a cette fuite en avant du budget (prévisionnel) des blockbusters (présumés). En clair : si ma boule de cristal me dit 'ya bon gros revenus DVD worldwide' alors moi je réponds 'ya bon balancer grosse thune dans le tuyau du projet.' A partir de là les productions qui s'engouffrent dans ce trou sans fin commencent par vendre leur film essentiellement sur les effects spéciaux pour finir par faire du budget lui-même l'argument marketing suprême. Qui n'a pas encore eu sa dose du film "le plus cher de tous les temps"? Qui a réchappé à la bande-annonce du film "le plus cher de tous les temps"? Echapper au film lui-même ? Impossible de passer au travers des mailles du filet du marketing en flux continu. Et si l'on est victime de l'onde de choc dès le début (que ce soit volontairement ou juste pour suivre le mouvement), on n'a déjà plus la force de résister quand arrive la superbe édition collector et ses moults bonus (bonii), pour boire jusqu'à la lie les coulisses du film "le plus cher de tous les temps."
Par là, évidemment, le film de cinéma devient un produit comme les autres, une "commodité" comme on dit en anglais, c'est à dire un produit de consommation courante tellement banal que c'est lui qui est obligé de raccoler son public pour qu'on le consomme de préférence au film concurrent. Les films d'esbrouffe dispendieuse ("high-concept" obèse + perfusions marketing) squattent les têtes de gondoles et bouffent l'exposition médiatique de leur secteur (les journalistes, qu'ils le reconnaissent ou non, se laissent au moins intimider car qui dit gros budget dit gros budget marketing donc grosses pages de pub).
Dans la logique du récital "mort aux Pirates" on pourrait dire que le cinéma s'approche déjà dangereusement d'une "commodité" par le biais des échanges de fichiers en ligne. Seulement voilà, quelle est la solution miracle au téléchargement gratuit ? Le téléchargement payant, bien-sûr ! Le vrai problème selon moi c'est cette dématérialisation accélérée et inconsidérée du cinéma. Toute l'industrie est complètement subjuguée par les perspectives de profits que le DVD a fait surgir de nulle part. Il y a là dedans un côté magique, malheureusement il ne s'agit pas de cette magie du cinéma qui émerveille les enfants mais du côté maléfique, de l'appât du gain qui engourdit toutes les autres facultés de jugement. C'est dans ce contexte que les bon gros Golum-Besson, avides de leur pouvoir, se font un plaisir d'innonder le marché : après eux le déluge - ça tombe bien ils ne sont pas là pour apprendre aux gens à surnager.

Ensuite il y a le deuxième effet "pas cool" qui ne date pas d'hier et vient se greffer sur ce qui précède : les stars accroissent 1/leur pouvoir (en négociant un intéressement de 1$ par galette) et donc 2/le fossé qui les sépare du reste de la profession (et par là de la logique créative qui veut qu'un film soit le résultat d'un travail d'équipe). Dans ce monde parfait, dont se prennent à rêver les financiers avides d'équations avec des inconnues aussi peu nombreuses que dociles, le cinéma ne se ferait qu'avec quelques stars calfeutrées dans des "véhicules" aux budgets pharaoniques. Ce serait le casino, on miserait $200m sur Tom Cruise ou $150m sur Julia Roberts. Bien-sûr les films indépendants auraient droit à un pourboire si tout va bien (j'ai parlé de couilles en or, ok, mais il faut aussi le joli saupoudrage de paillettes pour la quê-quête aux Oscars).

Tout ça c'est une tendance de fond, on ne peut pas dire que c'est juste des fantasmes, des idées noires. Moi je veux bien porter un regard moins sombre sur les perspectives d'évolution du cinéma à l'ombre du DVD, mais niveau clarté je pense que tous ces messieurs qui paradent à la tête de grosses maisons de production feraient bien de commencer par arrêter leur numéro d'hypocrisies concertées. Franchement, ils surjouent, le téléchargement n'est pas un danger en soi. Oui il ne faut pas sous-estimer la menace de ceux qui font le commerce des fichiers pirates, les seuls à mériter le nom de pirates dans l'histoire. Mais cette manoeuvre de diversion contre le téléchargement devrait surtout mettre en évidence l'incapacité de l'industrie, et à leur suite des pouvoirs publics, à s'occuper des vrais problèmes que fait surgir le numérique ces dernières années. Et ces problèmes commencent avec le flou total sur les recettes DVD et la part réintégréé dans la production... de films.
C'est bien facile de passer à la caisse, mais on fera encore des films dans dix ans. Des pirates aussi il y en aura toujours dans dix ans. Des DVD c'est moins sûr.

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