samedi 17 février 2007

Déjà-vu : Les 7 Samouraïs/Les 7 Mercenaires

Quand le remake américain éclipse l'original ça ne veut pas dire qu'il est mieux, juste que les américains ont bien recopié la recette pour l'adapter à leur marché, un marché ouvert sur l'export où de toute façon un film dans une langue étrangère n'aurait aucune chance, même un chef d'oeuvre.

Parmi la vingtaine de chefs d'oeuvre indiscutables du cinéma il y a justement les Sept Samouraïs (Shichinin no samurai - 1954). Il y a bien sûr une foule de classiques, de films essentiels, des jalons dans l'histoire du cinéma, dans l'évolution de la société, ou encore de films pionniers au niveau technique, montage, direction d'acteur, d'autres sont enfin des films rares parce qu'éminement originaux ou parce qu'ils sont l'écrin d'une scène magique, d'un tour de force etc. Tous ces films participent à la magie du cinéma mais rares sont ceux dont la puissance balaie toute tentative d'en isoler les qualités et les faiblesses. Les Sept Samouraïs en fait partie. Alors évidemment les cinéphiles, ou tout simplement les gens curieux donc cultivés, ont vu ce chef d'oeuvre de Kurosawa et peuvent facilement le mettre au-dessus du remake de John Sturges (1960) et on se retrouve alors dans une situation où une petite "élite" détient la "vérité" malgré une majorité qui ne connait que le remake et le tient pour un très bon film sans pousser plus loin l'esprit de critique.

Du simple fait d'être un western américain en couleur, donc un "produit" plus facilement "marketable" dès le départ (on peut ajouter au package la ribambelle d'acteurs et la musique d'Elmer Bernstein) les Sept Mercenaires a monopolisé ce "temps de cerveau cinématographique disponible" qui n'est pas le même chez l'habitué des salles obscures et chez le télespectateur scotché à TF1. Notez bien que je ne cherche pas à dérailler sur une discussion anti-capitalisme US mais juste à décortiquer ce qui pourrait expliquer la perception totalement complaisante des qualités du remake. Ceux qui ont vu le remake lors de sa sortie en ont forcément gardé un bon souvenir, magnifié depuis par la nostalgie. Ceux qui comme moi l'ont découvert à la télé (au hasard un dimanche soir sur TF1) ne peuvent pas l'avoir oublié si facilement. Voire... Les Sept Mercenaires, hormis sa musique, est un film éminement oubliable, de même que pour oublier Windows il suffit de passer à un autre OS. Mais qui des 95% de la population équipée d'un ordinateur est prêt à envisager ou même juste imaginer une interface informatique autre que Windows ?

Toute l'harmonie et le naturel, mais surtout l'authenticité de Kurosawa passent à la trappe. Les Sept Mercenaires se constitue d'une suite de scènes mettant tour à tour en valeur les 6 recrues de Yul Brynner, du pain béni pour des jeunes premiers comme Steve McQueen, James Coburn, Charles Bronson... qui cherchaient à faire leur trou au cinéma.
Les bonus du DVD sont révélateurs de ces curiosités amusantes mais contre-productives par rapport à la qualité générale du film.
  • La scène où l'équipe arrive au village en traversant une petite rivière est décortiquée et on voit clairement chaque acteur profiter de son passage dans le champ pour tirer la couverture à lui, qui en se rajustant le foulard, qui en s'amusant avec son chapeau (le coup favori de Steve McQueen qui fonctionne d'ailleurs à merveille pour lui attirer toute l'attention lorsqu'il conduit un chariot avec Brynner).
  • Autre détail souligné dans le documentaire présent sur le DVD : le compromis de la production avec les autorités locales mexicaines qui exigeaient des paysans propres (habillés plus blanc que blanc durant tout le film !) et irréprochables en réaction avec la présentation caricaturale subie à l'époque de la production de Vera Cruz(1954). Mais que dire alors du rôle du bandit Calvera incarné sans aucune nuance et à la limite du ridicule par Eli Wallach ! Certains iront jusqu'à penser que c'est ce rôle qui lui a valu d'obtenir le rôle de Tuco 6 ans plus tard alors que c'est une petite scène toute en subtilité dans la Conquête de l'Ouest (1962) qui l'a fait remarquer de Sergio Leone.

Bref on ne peut pas dire que Les Sept Mercenaires soit un très grand film même s'il bénéficie d'une indulgence collective largement inconsciente à ranger dans la prime aux remakes américains qui se donnent les moyens d'être vus par le plus grand nombre contrairement à leurs modèles quasiment confinés aux cinémathèques.
Deux petits bémols cependant :
  • avec le DVD et le peer-to-peer la culture cinématographique n'est plus limité à ceux qui ont accès à une cinémathèque ou un ciné-club dynamique (et même dans ces cas là combien d'années faut-il attendre pour que certains films soient disponibles ou simplement programmés ?)
  • les 7 Mercenaires n'a pas écrasé le box-office d'entrée, c'est après quelques semaines qu'il a commencé à s'imposer alors qu'il semblait à bout de souffle. J'analyserais ça comme l'effet d'un bouche à oreille favorable dur à lancer pour un gros film US dont la fin n'est pas si optimiste que ça (le remake ne se termine pas plus que l'original sur un banquet des 7 mercenaires bien vivants avec les villageois reconnaissants). Ce n'est pas rien que de reconnaitre à John Sturges le mérite d'avoir imposé ceci au public américain, une démarche qui allait ouvrir la voie à des films plus ambigüs alors que l'ère des studios tout-puissants touchait à sa fin.
PS pour ceux qui cherchent à voir Les 7 Samouraïs, la version qui fait référence est la restauration sortie en DVD dans la collection Criterion (206' soit 3h26), mais jusqu'à présent je ne l'ai trouvée qu'en Zone 1 et avec pour seuls sous-titres l'anglais. Pour la France je n'ai jamais trouvé de version potable (les éditeurs peu scrupuleux préfèrent sortir des versions minables pour ne pas reverser d'argent aux orfèvres qui ont fait le travail de restauration).

jeudi 15 février 2007

Dernière Beta : sortie de Celtx v. 0.9.9

Là où il vous en coutera des centaines d'euros pour acquérir un logiciel de traitement de texte adapté au scénario comme Final Draft et Movie Magic Screenwriter, Celtx vogue sur la vague des formats ouverts et vous propose donc un logiciel entièrement gratuit proposant déjà (le projet a été lancé il y a moins de 5 ans) mise en page de scénario mais aussi entre autres travail collaboratif, fonctionnalités de dépouillement...

La toute dernière mouture ajoute  maintenant des fonctionnalités aussi importantes, pour les petites structures de production, que :
  • gestion des story-boards

  • ébauche de plans de travail

A noter aussi pour ceux qui connaissaient déjà que le logiciel prend enfin en charge le format A4. Par ailleurs cette sortie s'accompagne de l'annonce des services annexes sur lesquels Greyfirst Corp. (l'éditeur) va pouvoir se rémunérer (mini-sites dédiés pour les productions p. ex.).

Logiciel en version française disponible dans la journée sur www.celtx.com

jeudi 8 février 2007

Déjà vu : Infernal Affairs/The Departed

Depuis la sortie du film je n'ai entendu que des louanges sur le film de Scorsese et cette semaine il a lui-même reçu l'homage de ses pairs avec le prix du meilleur réalisateur décerné par la Director's Guild of America. Finalement ces récompenses de syndicats/corporations n'ont pas plus de valeur que les Oscars puisque de toute façon il s'agit aussi de mettre en avant un choix consensuel, consensus d'autant plus important que les egos sont moins dilués au milieu des autres professions du 7e Art.

Pas de voix discordantes donc dans la réception de The Departed, du moins dans le consensus médiatique qui ne pouvait que se mettre en rang derrière la promo du dernier opus de Scorsese qui bénéficiait d'un casting solide que les interprétations de DiCaprio et Nicholson ne devaient finalement pas décevoir, bien au contraire. Mais il faut pourtant bien avouer que malgré les performances de ces deux acteurs (et le nom au générique de Scorsese pour ceux que ça impressionne) The Departed est un film très moyen, tantôt trop lent tantôt lourdingue dans son évolution jusqu'à une fin pitoyable qui, à elle seule, mérite de condamner l'ensemble du film sans épiloguer sur ce qui a été réussi.

Infernal Affairs est à côté sacrément bien foutu, toute l'action s'enchaîne sans perdre de temps sur des fils narratifs parallèles mais aussi sans prendre suffisament le temps de poser les personnages. C'est là que les ricains pouvaient apporter un petit plus qui est finalement devenu un petit surplus par rapport à la réappropriation de l'histoire originale qu'on aurait été en droit d'attendre de Scorsese.

SURPLUS AMERICAIN

Faisons une simple comparaison.
  • Le Scorsese reprend toute l'architecture de l'original, scènes clés pour scènes clés, en délayant les personnages
total= 2h30
  • Le film original est dense et ne perd pas temps
total = 1h40
(format standard qu'ils ont peut-être malheureusement un peu forcé parce qu'il permet de faire une séance toutes les 2h dans les multiplexes à bestiaux).

Comme quoi les ricains ont vraiment abusé dans leur souci de montrer qu'ils pouvaient améliorer un petit polar chinois : 20 minutes auraient été suffisantes pour densifier le rôle de DiCaprio qui mériterait vraiment, dans les deux versions, d'être le personnage principal au détriment du flic ripoux dont la froideur de fontionnaire parfait se passe de détails et surtout de ces scènes pitoyables pour mettre sa vie en perspective (point en revanche bien repris dans le Scorsese : l'appartement showroom permet de bien matérialiser le personnage lisse et ambitieux).

De toute façon c'est lui, le flic ripoux, le vrai méchant du film donc il faut éviter de lui mettre des scènes attendrissantes : le film chinois gère très bien cette partie ce qui fait que le personnage du ripoux est mieux réussi que son homologue infiltré dans la maffia qui, même dans sa version DiCaprio, n'est jamais assez sombre. Dans le film chinois ce personnage est tout de même censé passer 10 ans dans la clandestinité à accumuler les larcins, jouer au malfrat 24h/24 pour arriver enfin à se faire recruter et bosser pour un parrain (les deux personnages à l'académie de police sont incarnés par des gamins ce qui gêne d'ailleurs la transition pour repérer qui est qui), mais ce background essentiel est résumé en un clip au début qui lamine toute la profondeur du personnage (pas mal de montages flashbacks et de musique intrusive très lourdingues aussi pour un film aussi réussi dans l'ensemble). Dans le film américain DiCaprio est tellement fort qu'il lui faut à peine 2-3 ans pour être dans la place et que ces sacrifices commencent à produire des résultats.

Au final le Scorsese ne vaut que pour les interprétations de DiCaprio et Nicholson qui améliorent nettement mais juste ponctuellement le matériau de base, au détriment du rythme original : le personnage de DiCaprio n'est pas assez mis en valeur, celui de Nicholson trop. J'irais même jusqu'à dire qu'il y a là une erreur dès l'écriture de ce personnage qui cannibalise l'intrigue et le rythme car finalement ce n'est pas lui le lien, les infiltrés sont dans un combat à distance mais sans intermédiaires : ils sont fondammentalement et irrémédiablement seuls au monde. Ceci dit tout le reste du remix par DJ Scorsese est sans intérêt, jusqu'à cette fin pitoyable, si bien que tout ça aurait très bien pu être filmé par n'importe quel tâcheron d'Hollywood. Le problème c'est que l'histoire originale est tellement bien ficellée qu'il n'est pas possible d'en faire un navet. Un film médiocre, bancal oui, mais pas un navet complet. C'est pour cela que les américains sont si friands de remakes : ils achètent un scénario quasi clé en main et derrière même les plus demeurés des executives ont donc sous les yeux une version d'un scénario testée et approuvée qu'ils n'ont plus qu'à suivre sans avoir trop la tentation d'essayer de la sacager avec des stéréotypes. Dans ce schéma Scorsese se retrouve pour la troisième fois consécutive à faire le tâcheron d'une super-production, se contentant de filmer ce qu'on lui donne pour s'assurer des vieux jours paisibles.

Question subsidiaire : peut-on juger un remake sans tenir compte du film original ? Oui, d'ailleurs moitié par hasard moitié par trop d'espoir placé dans Scorsese, j'ai vu The Departed en premier sans pour autant avoir un jugement positif sur le film (cf. mon commentaire sur IMDb à l'époque). En ayant vu l'original, que je ne trouve pas parfait non plus mais qui a l'avantage d'être original justement et déjà très réussi, le Scorsese m'apparait encore plus mauvais puisqu'il n'apporte pas grand chose et au contraire alourdit la trame photocopiée pour imposer sa marque "à l'économie de talent". Un peu comme si je trouvais une anecdote marrante sur internet et que je me contente de la traduire, la délayer, d'en assurer la paternité tout en ajoutant des noms connus dedans pour la rendre un peu plus sexy.