Après les enjeux de l'exploitation et de la production, évoqués de manière très pointue par James Cameron, voyons un peu au milieu ce qui pourrait changer dans la distribution.
N'en déplaise à ceux qui sont contents de bosser dans la partie, la distribution est la branche la plus mercantile du cinéma, la courroie de transmission entre des films (quelles que soient leurs ambitions ou qualités) et le box-office. Le box-office c'est (un peu moins en France) le synonyme de Public. On ne s'en cache pas, ce qui compte c'est combien il y a dans la caisse une fois qu'on rend les copies ! De grands circuits de distribution peuvent imposer la sortie étendue de certains films contre les études de potentiel qui ont été menées, ou au contraire délaisser complètement un film qui finalement ne trouverait pas sa place dans leur line-up (comprendre le tube dans lequel ils casent à la queue leu-leu leurs torpilles et leurs pétards mouillés, prêts pour une sortie en surface et exploser le BO, ou pour se perdre dans les profondeurs, vers le cimetières des petits navires qui n'ont jamais navigué).
La très sévère autorité anti-trust avait démantelé, aux Etats-Unis, le système des studios, et signalé ainsi le début de la fin de l'Age d'Or Hollywoodien (1948). Jusqu'au début des années 40, en effet, production et distribution étaient regroupées. Les exploitants indépendants subissaient alors la loi des distributeurs qui les obligeaient à prendre en programmation tout un lot de films du studio de la maison-mère. Si le block-booking a disparu, les principaux distributeurs sont liés à un gros studio. Quand un distributeur indépendant comme Miramax tire son épingle du jeu il se fait racheter, et au final la distribution fait toujours la loi. Mécanisme simple : 1/les gros distributeurs ont dans les cartons les gros films à gros budget avec des grosses stars qui vont squatter les médias pour la sortie de leur film, 2/ils inondent le marché de copies (il y a dix ans une sortie sur 700 copies serait apparue scandaleuse en France, aujourd'hui on a allègrement dépassé les 1000 pour les films événements), réservent les plus grosses salles, la meilleure visibilité là où encore, malgré tout, de nombreux spectateurs font encore leur choix (avec quelques idées plus ou moins hardies en tête). Et en 3/il ne reste plus aux autres films qu'a essayer de se faire une place : par une sortie dans un slot délaissé par les gros (où il faut donc jouer des coudes avec d'autres petits dans un marché potentiellement jugé plus restreint), ou en jouant la complémentarité dans l'ombre d'un gros film, dans le sillage d'un mastodonte etc.
Une des raisons, non pas du succès, mais de l'ampleur du succès des Ch'tis, c'est que le film est sorti alors que les distributeurs avaient monté en épingle Astérix 3 (oui, c'est aussi à ça qu'on reconnait les distributeurs : ils pensent toujours que de la merde bien marketée se vend toujours... et en effet 6 millions de spectateurs pour un bide...). Bienvenue chez les Ch'tis est sorti alors qu'Astérix, même dopé avec tous ses artifices marketing-promo, se dégonflait prématurément et dans la période bénie des vacances d'hiver où les gens ont froid, ou les enfants s'ennuient et ou tout le monde veut rigoler un bon coup. Aucun film important n'avait osé se placer là (la sortie pour le début des vacances d'hiver est réservée longtemps à l'avance dans des petits combats d'intox à distance). Bref, sorti un peu plus tard les Ch'tis auraient peut-être facilement atteint dix millions d'entrées, ce qui est déjà phénoménal, mais 20 ?! Là c'est du domaine de la conjonction rarissime !
Alors qui de la distribution demain ? Deux pistes. D'une part les multiplexes ne vont pas s'écrouler, en tout cas pas du jour au lendemain. Ils sont déjà des hypermarchés du spectacle et il ne sentent pas encore le souffle chaud du hard discount sur leur nuque. A ce niveau on peut attendre une distribution indépendante des grands studios qui ferait son chemin dans un esprit "Long tail". Une offre très diversifiée organisée non plus en semaine de location de copies, mais en format festivals, avec liberté localement pour l'exploitant de panacher sa programmation en fonction de la demande. Certes on n'y est pas encore, mais c'est parce qu'il s'agit d'un mouvement de fond qui ne va certainement pas créer une lame de fond avant une dizaine d'année. Enfin, tout va tellement vite... Les gros studios et leur branche distribution vont en tout cas avoir du mal à trouver des soutiens financiers à la moindre secousse pour les mois et les années qui viennent. Bref tout peut très vite arriver.
D'autre part la dématérialisation des contenus semble aussi aller dans le sens où la location vidéo à usage privé va disparaître, ou prendre plus de valeur. C'est l'éternelle alternative : mourir ou grandir. Déjà je vois que les loueurs qui marchent aujourd'hui ce sont ceux qui fournissent un conseil, mais ce ne sera vite plus suffisant. La VoD va balayer les automates et les gentils video clerks, genre cinévore/cinémaniaque Tarantino, vont vite suivre. La raison pour laquelle le cinéma ne va pas mourir c'est que les jeunes, au moins, on besoin de se trouver des occasions de sortir et de se rencontrer. Des salles juke-box conçues selon une organisation de bowling colleraient parfaitement à cet esprit. On en est loin encore, mais s'il doit y avoir une évolution elle se fera dans un sens qui répond à un besoin profond alors que le système d'aujourd'hui est de plus en plus contraignant (ce qui n'est pas pour rien dans l'ampleur du phénomène de téléchargement où des vagues d'ados et de jeunes adultes ont enfin le choix et la liberté de choix à laquelle ils aspirent.
Évidemment le Pouvoir n'aime pas la liberté et surtout quand elle décide elle-même de ses propres limites. Mais le Pouvoir cherche toujours sa source dans le passé, surtout quand la pression du présent le dépasse. Pour boucler cette dynamique, le système actuel est déjà en train d'esquisser un râle qui est un encouragement au changement. Avec ça qui veut encore douter que la partie la plus bâtarde du cinéma, la distribution, sorte de banque émettant des séries limitées de billets selon son bon vouloir, va être l'aspect de l'industrie cinématographique le plus bouleversé dans les prochains années ?
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