dimanche 3 juillet 2005

Les nègres du cinéma

En France on commence à entendre parler de script-doctors depuis quelques années, surtout parce que certains scénaristes auto-proclamés veulent vendre leur service aux gogos qui rêvent de devenir scénaristes (oui, apparemment il y a beaucoup de monde qui croit que scénariste c'est ce qu'il y a de plus facile quand on n'a ni envie de s'exposer comme un acteur ni caméra), mais les producteurs n'ont pas attendu que le terme traverse l'atlantique pour employer des scénaristes (et pas des moindres), non crédités au générique, pour des réécritures plus ou moins étendues.

Script doctor dans l'absolu ce n'est pas vraiment l'équivalent du nègre de l'édition justement parce que le scénariste (professionnel reconnu, j'insiste) sait qu'il vient apporter une touche finale alors que le gros du travail de défrichage a été fait. C'est un peu le plaisir de retaper une baraque (en plus ou moins bon état) pour quelqu'un d'autre et sans en avoir été l'architecte. Ce genre de "travaux éditoriaux" permet aux scénaristes de faire la soudure entre deux chantiers où ils sont architectes en chef.

En revanche il y a un concept américain plus proche du travail de nègre (disons que le nègre fait tout le boulot et en particulier le sale boulot de dépanneur ponctuel aux ordres) pour lequel je ne sais pas s'il y a beaucoup d'équivalent en France. A Hollywood ils parlent de 'ghost writers' ou 'closet writers' : la nuance étant que le ghost writer est un nègre en free lance alors que le 'closet writer' est le nègre attitré d'une personne (en général une star ou un réalisateur renommé). L'article du jour dans le LA Times (Calling Cyrano to the movie set) évoque les gagmen qui accompagnent les stars importées du petit écran (SNL) mais de manière générale la tendance n'est pas récente contrairement à ce qui est écrit. Les braves nègres se font rémunérer $250 000 par semaine pour faire plaisir à ce commanditaire qui est leur meilleur agent : une grosse star genre Tom Cruise va imposer son mécanicien pour donner à ses fans le Tom Cruise qu'ils veulent. Au détriment de la subtilité du scénario, puisqu'une star veut apparaitre comme une incarnation parfaite du personnage sur papier glacé qui fait les couvertures de magazines, mais aussi au détriment de l'équilibre de travail de l'équipe de production.

A ce tarif les nègres ne sont pas trop à plaindre malgré le côté méprisable, l'aspect prostitution de leur job. En revanche il y a aussi toujours, mais on n'en parle jamais, des gens peu scrupuleux (et pas vraiment professionnels de toute façon) qui profitent des wannabes scénaristes :
The producer encourages as many as a dozen aspiring writers to work on his idea. They knock themselves out over his story for two or three weeks in return for nothing but the vaguest of promises. Then the producer comes out of it with enough free ideas to nourish the one writer he finally hires.
Budd Schulberg What makes Sammy run(1941)

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