Depuis le temps que j'entendais parler de ces fameuses projections test, j'ai enfin eu l'occasion de me faire une idée. De fait j'ai souvent entendu des anecdotes plus ou moins heureuses sur cette dernière étape de la genèse du film, mais autant que je me souvienne il ne s'agit que d'exemples américains. Évidemment puisque c'est eux qui l'ont inventé (peut-être Harold Lloyd dès 1928 d'après Wikipedia) et il faut bien avouer que le procédé a mauvaise presse chez nous les Exceptionnels Culturistes du 7ème Art, le pays de l'auteur sans plafond et ses amis intermittents de la créativité.
Faire une projection test les américains font ça sans complexe, et franchement, quand on a bossé le nez dans le guidon pendant des mois, qui pourrait cracher sur un regard innocent, et le seul regard qui compte au final, celui du public ? Ceci dit ça coûte cher donc on a intérêt à savoir quels aspects on souhaite tester, parce que quiconque a fait un peu sérieusement de l'analyse statistique sait que des questions mal posées, trop ouvertes, trop fermées, un questionnaire trop long, mal structuré etc. vont introduire un biais qui se démultiplie au fil des erreurs de conception.
PAPA WAS NOT A ROLLING STONE
Le premier biais c'est celui de l'échantillon et de ce que j'ai compris Médiametrie a tapé dans le cœur du public régulier des salles obscures : ceux qui ont une habitude, un plaisir, des exigences sur grand écran. On était beaucoup dans la tranche 20-40 ans apparemment ce lundi soir au cinéma Publicis.
Le fait de ne pas savoir quel film on allait voir perturbait un peu les gens qui m'accompagnaient et ça c'est peut-être un vrai biais... pas forcément négatif puisque les volontaires les plus naturels vont ainsi s'avérer être plus ouverts d'esprit a priori, prêts à donner sa chance à un film dont ils ne connaissent même pas le titre.
Justement en tant que cinéphile (très) averti j'essaie toujours d'en savoir le moins possible. Notamment pour éviter les "synopsis" qui racontent les 20 premières minutes du film... sinon plus, une paraphrase dans laquelle se vautrent la moitié au moins des critiques "professionnels" (c'est à peine pire si on lit les critiques des spectateurs). L'idéal pour moi : aller découvrir un film pour son réalisateur, un ou des acteurs, ou juste pour une anecdote ou pour son titre évocateur, mystérieux...
Le titre, donc, on l'a eu dans le questionnaire "d'entrée" pour tester ce que ça évoquait. Comme ça fait des années que je ne suis (presque) plus l'état des productions en cours, ça ne m'a pas plus éclairé sur ce qui allait suivre. J'ai dit que ce titre, Papa was not a rolling stone, m'évoquait plutôt une comédie dramatique. Seul a priori à ce moment : l'utilisation d'un titre en anglais pour un film français tient pour moi d'une approche soit pédante, soit très paresseuse.
Bref le film commence et le premier logo de production est "Studio Orange" : je me marre un peu vu que c'était l'objet (perdu) de mon dernier post. Je ne peux ainsi réprimer la pensée fugace que Mme Dumas s'est peut-être beaucoup gobergée sur ce projet, avec ce professionnalisme de presse-agrume qui a coulé le Studio. Mais passons, le film commence...
ROUGH CUT
Le film n'est pas magistralement mis en scène mais "ça se tient". Le ton et l'approche restent cohérents tout du long, et c'est un peu aussi la grosse faiblesse : l'histoire progresse sans à-coups, sans scène clé, sans véritable suspense ni retournement surprise.
Ce qui est amusant c'est que je reste sur une assez bonne impression quand le film se termine. J'ai trouvé ça divertissant de bout en bout : "ça bouscule pas un train de marchandises" mais le film a au moins réussi à ne pas me faire gamberger pendant la séance. Ça, le temps mort de 30 seconde récurrent, c'est clairement le défaut rédhibitoire.
En revanche quand il s'agit de faire le point sur la séance à chaud avec ses amis ou, dans le cas de cette projection test, d'abord sur le papier, on commence à structurer quelques griefs. Le "questionnaire de sortie" reprenait la question sur le titre. Alors, a posteriori ça colle bien ? Vous préférez ça ou "Envole moi", "Vivre ma vie", "Même pas en rêve"... ?
A part cette question sur le titre le questionnaire demande rapidement quelques qualificatif pour jauger les impressions. Pour moi c'était "Pas très original" "Cliché" "Bien interprété" "Pas très bien mis en scène" "Amusant" plutôt que franchement drôle. Moins amusant cette fois c'est qu'en en discutant dans la foulée je trouve de moins en moins de circonstances atténuantes au film : même avec quelques modifs bien calibrées il va falloir songer à une stratégie "front loaded" (mettre le paquet pour remplir les salles en première semaine parce qu'on sent que le bouche à oreille ne sera pas terrible) ce qui coûte encore une fois très cher, et sans garantie du résultat, voire être totalement contre-productif en survendant le produit. Sur-vendre et sous-vendre conduisent toujours au même échec cuisant : le film passe à côté de son public.
DIAGNOSTIC
Le film a clairement un problème de rythme. Un petit retour sur le métier et quelques scènes coupées ou raccourcies, quelques idées de montage pour dynamiser le récit et le changement pourrait être très efficace. Ceci dit on a à la base un film très écrit (pas d'action à part les interludes de danse) dont l'essentiel de l'humour repose sur le personnage secondaire de la bonne grosse copine (Fatima), un personnage pas très cohérent au niveau dialogue (parfois ignare, parfois capable de traits d'esprit) et surtout qui est un pur faire-valoir sans aucune influence sur le récit. Dilemme : tailler dans le point fort comique du film ou resserrer le récit.
Le gros reproche sinon c'est ces dialogues qui clouent le film dans le cliché de la cité de banlieue morose avec des gens au cœur d'or. Le film surfe sur du 'feelgood', rien n'est vraiment approfondi, ni les espoirs (la danse, la pub, l'amour) et les choix (avoir un enfant) ni les galères, et par exemple on ne voit jamais le côté morose, glauque, déprimant de la banlieue dont ils parlent. Et justement ils parlent un sabir improbable fait d'argot de djeunz ados des années 2000 ("trop bien" grrr....) plus des tournures de verlan qui datent plutôt des années 90 et quelques mots crus d'arabe pour assaisonner le tout. "Une délicieuse uchronie" ironisera un copain à ce propos !
Et le titre me direz-vous ? Qu'est-ce que ça vient foutre ici ? Hé bien j'ai fait mes recherches et il s'avère que la réalisatrice (Sylvie Ohayon) a adapté son roman autobiographique sorti sous ce titre. Elle a dû louper quelques séances de psy, parce que c'est vraiment pathologique de rendre le rôle du père central, en creux, dans une histoire d’ascension sociale. Le roman est peut-être plus dans l'introspection torturée que dans la comédie musicale de banlieue à l'écran (au final on est plutôt posés benoitement entre Kechiche et West Side Story) mais alors comment ce fait-il que ce titre n'ait pas été remis en question plus tôt ?
Tout simplement parce qu'on est en France et qu'un auteur de roman remarqué peut se permettre de demander à des gens (Studio Orange et d'autres trucs plus directement d'argent public) de risquer de l'argent sur l'adaptation de son bébé. Qui s'abaisserait à accepter que Zidane ou Zlatan filme leur propre hagiographie ? Ah mais ce ne sont pas des professions intellectuelles, alors que quand on sait à peu près écrire avec un stylo on est Victor Hugo : poète, romancier, dramaturge, homme politique... et encore lui n'a pas eu l'occasion d'écrire avec une caméra.
Je conclurai avec une anecdote qui m'est revenue en écrivant ceci, et qui touche à la projection test pour un film français : Tess de Roman Polanski. Polanski était tombé amoureux de son sujet (et pan, dix mois de tournage... pour un film en costumes avec des extérieurs compliqués !) et son premier montage était trop long (plus de 3h). Son producteur, Claude Berri, n'arrivait pas à lui dire fermement de raccourcir. Difficile exercice diplomatique qui trouva sa solution quand le concierge de Polanski osa lui dire que "c'était très bien mais un peu trop long". Polanski se plia alors à la voix du peuple, ce qui fit dire à Claude Berri qu'un concierge avait plus de pouvoir que lui !
Faire une projection test les américains font ça sans complexe, et franchement, quand on a bossé le nez dans le guidon pendant des mois, qui pourrait cracher sur un regard innocent, et le seul regard qui compte au final, celui du public ? Ceci dit ça coûte cher donc on a intérêt à savoir quels aspects on souhaite tester, parce que quiconque a fait un peu sérieusement de l'analyse statistique sait que des questions mal posées, trop ouvertes, trop fermées, un questionnaire trop long, mal structuré etc. vont introduire un biais qui se démultiplie au fil des erreurs de conception.
PAPA WAS NOT A ROLLING STONE
Le premier biais c'est celui de l'échantillon et de ce que j'ai compris Médiametrie a tapé dans le cœur du public régulier des salles obscures : ceux qui ont une habitude, un plaisir, des exigences sur grand écran. On était beaucoup dans la tranche 20-40 ans apparemment ce lundi soir au cinéma Publicis.
Le fait de ne pas savoir quel film on allait voir perturbait un peu les gens qui m'accompagnaient et ça c'est peut-être un vrai biais... pas forcément négatif puisque les volontaires les plus naturels vont ainsi s'avérer être plus ouverts d'esprit a priori, prêts à donner sa chance à un film dont ils ne connaissent même pas le titre.
Justement en tant que cinéphile (très) averti j'essaie toujours d'en savoir le moins possible. Notamment pour éviter les "synopsis" qui racontent les 20 premières minutes du film... sinon plus, une paraphrase dans laquelle se vautrent la moitié au moins des critiques "professionnels" (c'est à peine pire si on lit les critiques des spectateurs). L'idéal pour moi : aller découvrir un film pour son réalisateur, un ou des acteurs, ou juste pour une anecdote ou pour son titre évocateur, mystérieux...
Le titre, donc, on l'a eu dans le questionnaire "d'entrée" pour tester ce que ça évoquait. Comme ça fait des années que je ne suis (presque) plus l'état des productions en cours, ça ne m'a pas plus éclairé sur ce qui allait suivre. J'ai dit que ce titre, Papa was not a rolling stone, m'évoquait plutôt une comédie dramatique. Seul a priori à ce moment : l'utilisation d'un titre en anglais pour un film français tient pour moi d'une approche soit pédante, soit très paresseuse.
Bref le film commence et le premier logo de production est "Studio Orange" : je me marre un peu vu que c'était l'objet (perdu) de mon dernier post. Je ne peux ainsi réprimer la pensée fugace que Mme Dumas s'est peut-être beaucoup gobergée sur ce projet, avec ce professionnalisme de presse-agrume qui a coulé le Studio. Mais passons, le film commence...
ROUGH CUT
Le film n'est pas magistralement mis en scène mais "ça se tient". Le ton et l'approche restent cohérents tout du long, et c'est un peu aussi la grosse faiblesse : l'histoire progresse sans à-coups, sans scène clé, sans véritable suspense ni retournement surprise.
Ce qui est amusant c'est que je reste sur une assez bonne impression quand le film se termine. J'ai trouvé ça divertissant de bout en bout : "ça bouscule pas un train de marchandises" mais le film a au moins réussi à ne pas me faire gamberger pendant la séance. Ça, le temps mort de 30 seconde récurrent, c'est clairement le défaut rédhibitoire.
En revanche quand il s'agit de faire le point sur la séance à chaud avec ses amis ou, dans le cas de cette projection test, d'abord sur le papier, on commence à structurer quelques griefs. Le "questionnaire de sortie" reprenait la question sur le titre. Alors, a posteriori ça colle bien ? Vous préférez ça ou "Envole moi", "Vivre ma vie", "Même pas en rêve"... ?
A part cette question sur le titre le questionnaire demande rapidement quelques qualificatif pour jauger les impressions. Pour moi c'était "Pas très original" "Cliché" "Bien interprété" "Pas très bien mis en scène" "Amusant" plutôt que franchement drôle. Moins amusant cette fois c'est qu'en en discutant dans la foulée je trouve de moins en moins de circonstances atténuantes au film : même avec quelques modifs bien calibrées il va falloir songer à une stratégie "front loaded" (mettre le paquet pour remplir les salles en première semaine parce qu'on sent que le bouche à oreille ne sera pas terrible) ce qui coûte encore une fois très cher, et sans garantie du résultat, voire être totalement contre-productif en survendant le produit. Sur-vendre et sous-vendre conduisent toujours au même échec cuisant : le film passe à côté de son public.
DIAGNOSTIC
Le film a clairement un problème de rythme. Un petit retour sur le métier et quelques scènes coupées ou raccourcies, quelques idées de montage pour dynamiser le récit et le changement pourrait être très efficace. Ceci dit on a à la base un film très écrit (pas d'action à part les interludes de danse) dont l'essentiel de l'humour repose sur le personnage secondaire de la bonne grosse copine (Fatima), un personnage pas très cohérent au niveau dialogue (parfois ignare, parfois capable de traits d'esprit) et surtout qui est un pur faire-valoir sans aucune influence sur le récit. Dilemme : tailler dans le point fort comique du film ou resserrer le récit.
Le gros reproche sinon c'est ces dialogues qui clouent le film dans le cliché de la cité de banlieue morose avec des gens au cœur d'or. Le film surfe sur du 'feelgood', rien n'est vraiment approfondi, ni les espoirs (la danse, la pub, l'amour) et les choix (avoir un enfant) ni les galères, et par exemple on ne voit jamais le côté morose, glauque, déprimant de la banlieue dont ils parlent. Et justement ils parlent un sabir improbable fait d'argot de djeunz ados des années 2000 ("trop bien" grrr....) plus des tournures de verlan qui datent plutôt des années 90 et quelques mots crus d'arabe pour assaisonner le tout. "Une délicieuse uchronie" ironisera un copain à ce propos !
Et le titre me direz-vous ? Qu'est-ce que ça vient foutre ici ? Hé bien j'ai fait mes recherches et il s'avère que la réalisatrice (Sylvie Ohayon) a adapté son roman autobiographique sorti sous ce titre. Elle a dû louper quelques séances de psy, parce que c'est vraiment pathologique de rendre le rôle du père central, en creux, dans une histoire d’ascension sociale. Le roman est peut-être plus dans l'introspection torturée que dans la comédie musicale de banlieue à l'écran (au final on est plutôt posés benoitement entre Kechiche et West Side Story) mais alors comment ce fait-il que ce titre n'ait pas été remis en question plus tôt ?
Tout simplement parce qu'on est en France et qu'un auteur de roman remarqué peut se permettre de demander à des gens (Studio Orange et d'autres trucs plus directement d'argent public) de risquer de l'argent sur l'adaptation de son bébé. Qui s'abaisserait à accepter que Zidane ou Zlatan filme leur propre hagiographie ? Ah mais ce ne sont pas des professions intellectuelles, alors que quand on sait à peu près écrire avec un stylo on est Victor Hugo : poète, romancier, dramaturge, homme politique... et encore lui n'a pas eu l'occasion d'écrire avec une caméra.
Je conclurai avec une anecdote qui m'est revenue en écrivant ceci, et qui touche à la projection test pour un film français : Tess de Roman Polanski. Polanski était tombé amoureux de son sujet (et pan, dix mois de tournage... pour un film en costumes avec des extérieurs compliqués !) et son premier montage était trop long (plus de 3h). Son producteur, Claude Berri, n'arrivait pas à lui dire fermement de raccourcir. Difficile exercice diplomatique qui trouva sa solution quand le concierge de Polanski osa lui dire que "c'était très bien mais un peu trop long". Polanski se plia alors à la voix du peuple, ce qui fit dire à Claude Berri qu'un concierge avait plus de pouvoir que lui !
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