Il se trouve que j'ai lu le livre de Rafael Sabatini et qu'en effet la structure narrative originale a été nettement élaguée dans la version 1952 par George Sydney qui n'est donc pas un remake du film de 1923 par Rex Ingram, mais vraiment une nouvelle adaptation du roman*. Ce qui est important ici c'est que le roman n'est à la base pas un chef d'oeuvre non plus, donc un scénariste n'a pas de complexe à faire au niveau de ce qu'il trouve utile de changer ou de scrupules à avoir sur ce qu'on peut évacuer. De surcroît les scénaristes de la version couleur ont bénéficié de la version muette pour analyser ce qui marchait ou pas.
Scaramouche (1923 - Rex Ingram). L'adaptation suit de très près le roman, mais à moins d'être un intégriste on ne peut pas dire que "fidélité" rime avec "qualité assurée". Vouloir garder tout le contexte historique du roman était une gageure et cela nuit largement à l'intrigue centrale. André-Pierre Moreau ne devient jamais Scaramouche au point que le titre est quasi usurpé. Moreau est comme dans le roman le citoyen Moreau qui lutte contre la noblesse et se cache accessoirement derrière le masque de Scaramouche. Le grand écart entre les séquences de foule historiques (grandioses) et l'intrigue privée (scènes tartes comme dans le livre avec en plus une direction très datée) se retrouve ainsi être le plus grand défaut de cette adaptation. Ramon Novarro est lui bon dans un rôle empesé par une conception rigide du héros dans les films Hollywoodiens de l'époque.
Scaramouche (1952 - George Sydney). On peut dire sans se forcer qu'il s'agit d'un chef d'oeuvre du cinéma de cap et d'épée. Au-delà le film tient une place à part puisqu'il est très subtil et contourne tous les poncifs du film de genre. On doit ceci àl'intelligence de l'adaptation qui ne reprend du roman qu'une trame générale à partir de laquelle broder une histoire forte et nerveuse (et qui ne se perd pas dans les méandres grandiloquents de l'Histoire). Broder sur le canevas de l'oeuvre originale, c'est bien là le vrai travail de l'adaptation et ici, en plus d'un cadre narratif stimulant il s'agissait de garder une phrase du roman, la meilleure, la toute première.
He was born with a gift for laughter and a sense that the world was mad.Le titre, cette phrase, voilà ce qui compte. Le reste est presque accessoire. Evidemment les premiers adaptateurs n'avaient pas oublié cette phrase mais elle s'est retrouvée perdue dans le feu de l'action (action trop statique dans le cadre étroit du muet pour ce personnage virevoltant). Leurs successeurs, comprenant qu'il s'agissait de l'idée directrice du film l'ont carrément carrément mise en exergue. Au final ils sont bien plus fidèles à l'esprit de cette phrase au point qu'on puisse aujourd'hui identifier Stewart Granger à Scaramouche (au milieu de sa filmo de personnages désabusés) alors que Ramon Novarro interpréte juste un gentilhomme romantique de plus.
* Parmi les idées conservées on retrouve Napoléon dans les deux versions (alors qu'une recherche rapide dans la version numérisée du livre par Amazon me confirme qu'il n'y est pas fait mention), mais la différence de ton entre les deux présentations du personnage est emblématique du fossé qui sépare la conception des deux films. En 1923 Napoléon est signalé comme un témoin de la prise des Tuileries, référence historique exacte mais sans rapport avec la choucroute. Ils ne pouvaient pas montrer la Tour Eiffel ou Montmartre alors ils ont casé Napoléon. En 1952 le film reprend l'idée pour en faire, tout simplement, un gag (qui, paraît-il, a longtemps été tenu à l'écart des copies françaises) parfaitement dans l'esprit de Scaramouche.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire