Certes je l'ai souvent dit par ici, mais il est malheureusement toujours aussi pénible de supporter leur malhonnêteté quand elle touche à cette culture dont ils se posent en ardents défenseurs. Qu'ils se présentent comme une espèce en voie de disparition, soit, ça fait partie de leur petit business. Ce qui commence à être énervant c'est quand l'Etat se prend au jeu, mais ce qui est carrément insupportable c'est quand leur business se moque complètement de cette culture derrière laquelle ils se protègent.
Comme beaucoup de fans du chef d'oeuvre de Sergio Leone, je suis allé voir Le Bon, la Brute et le Truand quand il est ressorti en version originale intégrale (2002). D'abord je n'avais jamais vu le film sur grand écran, seulement sur une petite télé 4/3 dépassant à peine les 50cm de diagonale (dur pour le cinémascope), et puis c'était l'occasion de voir le film en VO. Les quelques 18 min de rab ? Je n'y pensais pas en entrant dans la grande salle du Grand Action.
Connaissant le film presque par coeur (sans l'avoir vu avant ça plus de 2 fois je pense) la version originale, en italien donc, gâchait pas mal le spectacle. Le Bon, la Brute et le Truand c'est la musique d'Ennio Morricone, la réalisation de Sergio Leone, les acteurs... mais aussi les dialogues. Et comme dans les Tontons Flingeurs, une fois qu'on a associé des images à des dialogues, impossible de toucher à l'expérience filmique. Jean-Pierre Jeunet ne peut d'ailleurs pour cette raison pas voir Orange Mécanique dans une autre version que la VF dans laquelle il a découvert (et revu maintes fois) le film. Bref pour ces films qui touchent au statut de culte parce qu'ils sont tellement à part, il est illusoire de vouloir redécouvrir le film dans une autre version (ce qui est en revanche parfaitement possible pour un Hitchcock par exemple).
Bref ce n'est pas parce qu'on est cinéphile qu'il faut se bloquer sur la VO à tout prix. En revanche on peut défendre violemment l'intégrité du travail original. Cette version "intégrale", correspondant au film présenté par Sergio Leone lors de sa première italienne en décembre 1966, n'est rien d'autre qu'une première version publique du film que le réalisateur a par la suite décidé de raccourcir, non sous la contrainte (il n'a enlevé qu'un gros quart d'heure sur 3h de spectacle), mais pour en améliorer le rythme. Les ajouts qui sont maintenant réintégrés dans tous les DVD remasterisés du film viennent ainsi défaire le travail de Sergio Leone dans son dos.
La sortie dans quelques salles en 2002 de cette version rallongée visait vraisemblablement à annoncer la sortie DVD en 2004 de ce travail honteux, génériquement appelée sans aucune vergogne "Director's Cut" par les trous du cul du marketing DVD. Mais il ne me suffit pas de m'insurger, je veux aussi souligner précisément que les scènes, déversées depuis la déchetterie au milieu du montage définitif que Sergio Leone destinait à l'exploitation du film dans le monde, n'apportent rien, voire handicapent la narration du film.
L'article sur le film dans la version anglaise de Wikipedia liste toutes les scènes réintégrées dans le DVD. Il suffit de la survoler pour voir qu'il ne s'agit que de scènes mineures, qui n'apportent rien (et donc qui ralentissent le film). Je ne m'attarderais pas sur chacune d'elles : certaines sont totalement dénuées d'intérêt, d'autres sont intéressantes mais sans plus, toutes méritaient de rester à la corbeille selon la volonté du réalisateur. En revanche une scène plus longue (pas juste un bout de transition élagué par Leone) correspond à un vrai choix évident.
Tout le monde a remarqué que Sentenza (Lee Van Cleef) disparaît presque entièrement entre son introduction dans le premier quart d'heure, où il assassine froidement ses commanditaires, et le moment où on le retrouve en tortionnaire du camp de prisonniers de Betterville (1h30 dans le film). Au milieu il y a dans le montage définitif 2 petites scènes (à 24 et 29 min) pour baliser la piste de Bill Carson (celui qui donnera à Blondin et Tuco l'emplacement du magot, et donc les mettra sur le chemin de Sentenza). Mais il y avait aussi, à 48 min dans le film, une autre scène avec Sentenza toujours seul sur la piste de Bill Carson. Cette scène de 4 min présentait déjà l'absurdité de la guerre, que Sergio Leone voulait dépeindre en toile de fond, en se déroulant dans des ruines où des confédérés dépenaillés se terrent. Sentenza enquête, mais à force de trainer au milieu de cette misère il apparaît plus humain, ce qui est totalement contre-productif. De plus le côté "critique de l'absurdité de la guerre" anticipait, en moins bien, la grande séquence où Blondin et Tuco arrivent au milieu de la bataille du Branstone Bridge : la scène était donc doublement contre-productive dans la narration.
Inutile d'en rajouter sur l'importance pour Leone de retirer cette scène - entre autres - du montage, quitte à se focaliser entièrement sur les deux autres personnages bien plus sympathiques.
Le film tel que les gens peuvent le découvrir en DVD aujourd'hui est donc une version imparfaite du film voulu par Sergio Leone, puisqu'il s'agit en fait de son dernier brouillon avant mise au propre. Et je ne parle pas des libertés qui ont été prises dans la remasterisation du son et de l'image.
Je suis atterré de penser que les ayant-droits du réalisateur se contentent d'encaisser les royalties en laissant faire. On pouvait faire un coffret avec les deux versions, mettre des scènes écartées en bonus, mais présenter uniquement cette version au mépris de l'intention originale est pour le moins scandaleux.
EDIT: Je vois que plusieurs versions ont été mises en ligne récemment sur les réseaux P2P. Si l'une d'elle correspond vraiment au Director's Cut de 1967, je ne manquerais pas d'en faire la promotion au détriment du DVD que j'ai acheté.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire