Alors que le cinéma en France persiste à refuser l'évolution imposée par le numérique (voir les questions de chronologies des medias et plus généralement de tarification des différents types de visionnage depuis la salle de ciné jusqu'à la location pour 48h d'une copie de qualité standard - non HD), on peut être atterré de voir que le livre prend la même direction.
Et pourtant... l'industrie du livre a eu le temps d'observer et de comprendre ce qui se passe avec internet depuis 15 ans. On parle de livre électronique depuis le début des années 2000, Amazon a sorti son Kindle en 2007 avec un succès croissant jamais démenti : le côté inéluctable était quand même évident pour tous. Tous ? Non car un petit village de grippe-sous résiste encore et toujours à la réalité du monde environnant. Ah le bon vieux principe selon lequel il est extrêmement difficile de faire comprendre à un rentier qu'il va devoir reprendre des études pour trouver un métier et mériter un salaire. On a notre fierté nationale, notre exception culturelle qui ne doit pas être soumise aux dures lois du commerce et de la concurrence effrénée. En attendant ce sont de grosses multinationales qui demandent des lois d'exception, pas de pauvres artistes pris à la gorge par un changement dont ils ne peuvent que bénéficier, parce que oui, le but d'un artiste est de produire pour un public, pas de gagner plus ou moins bien sa vie. L'État lui est censé protéger l'artiste des spoliations sur la propriété de son œuvre. Et que voit-on actuellement, c'est à dire à un moment clé où internet s'ancre effectivement, qu'on le veuille ou non, au centre de notre vie ? On voit des discours grandiloquents sur la protection de la création, des grandes manœuvres pour protéger artificiellement les intermédiaires, les maquignons de la culture, et derrière ça surtout on assiste, éberlués, à l'inertie volontariste d'un secteur impuissant qui cherche des moulins à vent.
Demain le prix des livres au format numérique va chuter à un niveau de marché. Les gens achèteront plus facilement donc plus, mais cela demande de complètement repenser le métier d'éditeur. De petits éditeurs, des sociétés d'auto-édition font leur expérience en ce moment même. Oui, tout ça est en train d'arriver dans le monde anglo-saxon notamment. Mais en France nous avons un sacro-saint prix unique qui, sous prétexte de maintenir en vie un secteur (ben voyons, il s'agirait donc de subventionner les gentils libraires en rendant les prix des ebooks pas plus attractifs qu'une version papier), nous prépare un tsunami semblable à celui qu'ont connu la musique et le cinéma. Les français achètent de plus en plus de tablettes, de Kindle et autres liseuses (tarif d'entrée : 80 à 100 euros), les générations nées avec un ordinateur dans les mains sont déjà des actifs avec des familles, les générations internet et smartphone arrivent en ce moment sur le marché du travail, une part importante des seniors franchit le cap grâce au tactile qui simplifie tout...
Bref demain, en France, il y aura une forte demande pour des livres à télécharger pour quelques euros. Mais cette offre n'est pas prête. Certains éditeurs sentiront peut-être le changement en premier et auront le courage, sinon l'intelligence, de sortir des ebooks à quelques euros : 1€, 2€... 5€ maxi pour un livre attendu. Inutile de rêver à un tarif de 9,99€ pour un simple roman de quelques centaines de pages estampillées "Prochain Goncourt" car ce niveau de prix laisse trop d'espace au piratage qui, de toute façon, se développera du fait des protections numériques (DRM).
Au final, qui sera le premier à comprendre qu'il vaut mieux risquer de perdre 1€ que risquer de perdre 1 client ? et donc tester tout de suite une stratégie numérique claire : location 1 mois à moins d'un euro, achat mono-format (DRM) à 1,99€ et format ouvert à 4,99€ par exemple ? Là, l'offre serait claire et correspondrait très largement à toutes les attentes du consommateur : consommer vite et pas cher sans se poser de question ou acquérir une œuvre pour en disposer à son aise.