Je me souviens très bien avoir été marqué par le ton sûr de lui, limite fanfaron, de Roman Polanski dans une interview de Michel Ciment (compilation d'interviews sur des réalisateurs expatriés aux US). A l'époque je n'avais pas encore vu
Rosemary's Baby et je dois dire après coup que la qualité du film justifie toutes les certitudes de son réalisateur sur son travail en question et son talent en général.
J'ai récemment vu
Le Locataire (tourné à Paris en 1975) qui constitue un dyptique avec
Repulsion (tourné à Londres, 1964) voire une trilogie avec
Rosemary's Baby (tourné à NY, 1967). Si le talent du réalisateur se manifeste avec autant d'éclat dans chacun de ces films je n'en dirais pas autant de l'intérêt cinématographique, c'est à dire l'intérêt pour le spectateur qui veut voir un film qui le passionne et lui fasse ressentir un large panel d'émotions ou éventuellement quelques émotions fortes bien choisies.
Autant
Repulsion que
Le Locataire embarquent très loin le spectateur dans le partage de la névrose paranoïaque de leur héros. Ceci est magistralement réalisé, rien à redire, seulement comment se satisfaire d'un film où l'on observe le héros plonger après avoir eu le temps de s'identifier puis de le juger et enfin de s'en moquer (Le Locataire laisse beaucoup de place à l'humour noir, humour d'abord justifié par la position gauche, naïve et veule du héros qui tourne finalement à l'autodénigrement) ? Que le personnage principal soit fort ou faible la distanciation en cours de route n'est pas possible. Sans pousser trop loin dans la théorie un cinéaste signe un contrat avec son public sur la base des 10 premières minutes du film. Le contrat est rempli à partir du moment où le film nous amène où il veut pourvu qu'il ne renie pas ses fondations.
Quels peuvent être les problèmes rencontrés par un artiste talentueux ? D'abord qu'il n'ait pas ou plus confiance en lui et se retrouve impuissant à pratiquer son Art. Malheureusement un autre écueil guête l'artiste trop sûr de son talent, trop c'est à dire dès lors qu'il n'est plus possible de lui opposer des critiques, aussi constructives soit-elles, soit parce qu'il dégage une telle assurance qu'il intimide ses collaborateurs, soit parce qu'il refuse explicitement que l'on ose remettre en question ses choix, sa capacité à faire les bons choix, donc ce qui scelle la réalité de son talent.
Sur
le Locataire on peut déceler chez Polanski l'ambition de faire un film kafkaïen, avec un héros seul au milieu de tous, peu à peu dévoré par son environnement. Je ne crois pas trop m'avancer en imaginant un parallèle entre ce film et
La Métamorphose. L'ambition est louable mais Polanski s'est peut-être rendu compte en cours de route qu'on ne peut pas adapter Kafka à l'écran (il adapte ici avec Gérard Brach un
roman de Topor) parce que l'introspection est trop compliquée, trop pesante, à rendre. Sur la durée d'un film on est obligé d'avoir des points de repère en dehors de la perception du héros : difficile alchimie que de construire ce décallage sans faire faire le grand écart au spectateur. Ceci expliquerait les touches d'humour noir très détachées du sujet, véritables clins d'oeil/respirations introduites par le réalisateur (à moins qu'elles n'existent déjà chez Topor) pour nous éloigner de temps à autre de la spirale infernale dans laquelle s'engage ce personnage principal qui n'est en soit ni particulièrement sympathique ni fondammentalement intéressant.
Ou alors Polanski s'est simplement complû à torturer ce personnage qu'il interpète, et nous à sa suite, comme il l'avait fait avec celui de Catherine Deneuve dans
Repulsion, imaginant un nouveau genre : le film d'horreur réaliste, le fantastique psychologique, genre qui intellectualise le simple film d'horreur ou fantastique, mais genre finalement très frustrant pour le spectateur. On ne joue plus à se faire peur, à se perdre dans des méandres aussi inquiétants que fascinants, au contraire on se torture à fixer la réalité au microscope, dans ses détails les plus sordides. Une sorte d'autopsie/taxidermie vécue comme un Art d'avant-garde qui s'apprécie en le laissant se nicher sous la peau, au plus près des terminaisons nerveuses.
Au lieu d'être un appel d'air ce cinéma aboutit à un écrasement du spectateur qui, à moins d'éprouver un plaisir masochiste pour l'auto-mutilation, la scarification, ressent un malaise à la hauteur du talent de la mise en scène.
+ de détails sur ce qui ne marche pas d'un point de vue spectacle dans Le Locataire, comparaison avec Rosemary's Baby : cf. mon commentaire Imdb (en anglais).