Parmi la vingtaine de chefs d'oeuvre indiscutables du cinéma il y a justement les Sept Samouraïs (Shichinin no samurai - 1954). Il y a bien sûr une foule de classiques, de films essentiels, des jalons dans l'histoire du cinéma, dans l'évolution de la société, ou encore de films pionniers au niveau technique, montage, direction d'acteur, d'autres sont enfin des films rares parce qu'éminement originaux ou parce qu'ils sont l'écrin d'une scène magique, d'un tour de force etc. Tous ces films participent à la magie du cinéma mais rares sont ceux dont la puissance balaie toute tentative d'en isoler les qualités et les faiblesses. Les Sept Samouraïs en fait partie. Alors évidemment les cinéphiles, ou tout simplement les gens curieux donc cultivés, ont vu ce chef d'oeuvre de Kurosawa et peuvent facilement le mettre au-dessus du remake de John Sturges (1960) et on se retrouve alors dans une situation où une petite "élite" détient la "vérité" malgré une majorité qui ne connait que le remake et le tient pour un très bon film sans pousser plus loin l'esprit de critique.
Du simple fait d'être un western américain en couleur, donc un "produit" plus facilement "marketable" dès le départ (on peut ajouter au package la ribambelle d'acteurs et la musique d'Elmer Bernstein) les Sept Mercenaires a monopolisé ce "temps de cerveau cinématographique disponible" qui n'est pas le même chez l'habitué des salles obscures et chez le télespectateur scotché à TF1. Notez bien que je ne cherche pas à dérailler sur une discussion anti-capitalisme US mais juste à décortiquer ce qui pourrait expliquer la perception totalement complaisante des qualités du remake. Ceux qui ont vu le remake lors de sa sortie en ont forcément gardé un bon souvenir, magnifié depuis par la nostalgie. Ceux qui comme moi l'ont découvert à la télé (au hasard un dimanche soir sur TF1) ne peuvent pas l'avoir oublié si facilement. Voire... Les Sept Mercenaires, hormis sa musique, est un film éminement oubliable, de même que pour oublier Windows il suffit de passer à un autre OS. Mais qui des 95% de la population équipée d'un ordinateur est prêt à envisager ou même juste imaginer une interface informatique autre que Windows ?
Toute l'harmonie et le naturel, mais surtout l'authenticité de Kurosawa passent à la trappe. Les Sept Mercenaires se constitue d'une suite de scènes mettant tour à tour en valeur les 6 recrues de Yul Brynner, du pain béni pour des jeunes premiers comme Steve McQueen, James Coburn, Charles Bronson... qui cherchaient à faire leur trou au cinéma.
Les bonus du DVD sont révélateurs de ces curiosités amusantes mais contre-productives par rapport à la qualité générale du film.
- La scène où l'équipe arrive au village en traversant une petite rivière est décortiquée et on voit clairement chaque acteur profiter de son passage dans le champ pour tirer la couverture à lui, qui en se rajustant le foulard, qui en s'amusant avec son chapeau (le coup favori de Steve McQueen qui fonctionne d'ailleurs à merveille pour lui attirer toute l'attention lorsqu'il conduit un chariot avec Brynner).
- Autre détail souligné dans le documentaire présent sur le DVD : le compromis de la production avec les autorités locales mexicaines qui exigeaient des paysans propres (habillés plus blanc que blanc durant tout le film !) et irréprochables en réaction avec la présentation caricaturale subie à l'époque de la production de Vera Cruz(1954). Mais que dire alors du rôle du bandit Calvera incarné sans aucune nuance et à la limite du ridicule par Eli Wallach ! Certains iront jusqu'à penser que c'est ce rôle qui lui a valu d'obtenir le rôle de Tuco 6 ans plus tard alors que c'est une petite scène toute en subtilité dans la Conquête de l'Ouest (1962) qui l'a fait remarquer de Sergio Leone.
Bref on ne peut pas dire que Les Sept Mercenaires soit un très grand film même s'il bénéficie d'une indulgence collective largement inconsciente à ranger dans la prime aux remakes américains qui se donnent les moyens d'être vus par le plus grand nombre contrairement à leurs modèles quasiment confinés aux cinémathèques.
Deux petits bémols cependant :
- avec le DVD et le peer-to-peer la culture cinématographique n'est plus limité à ceux qui ont accès à une cinémathèque ou un ciné-club dynamique (et même dans ces cas là combien d'années faut-il attendre pour que certains films soient disponibles ou simplement programmés ?)
- les 7 Mercenaires n'a pas écrasé le box-office d'entrée, c'est après quelques semaines qu'il a commencé à s'imposer alors qu'il semblait à bout de souffle. J'analyserais ça comme l'effet d'un bouche à oreille favorable dur à lancer pour un gros film US dont la fin n'est pas si optimiste que ça (le remake ne se termine pas plus que l'original sur un banquet des 7 mercenaires bien vivants avec les villageois reconnaissants). Ce n'est pas rien que de reconnaitre à John Sturges le mérite d'avoir imposé ceci au public américain, une démarche qui allait ouvrir la voie à des films plus ambigüs alors que l'ère des studios tout-puissants touchait à sa fin.