dimanche 1 mars 2015

Kingsman Vs. James Bond

Matthew Vaughn annonçait lui-même regretter les James Bond d'avant : avant Daniel Craig et son incarnation froide et compassée, et même avant Pierce Brosnan, aux antipodes, décontracté et sans envergure. C'est un peu l'argument principal qui m'a vendu le film, parce que pour le reste je suis allergique à cette tendance du cinéma loufoque où l'action et la violence sont mélangés dans une vaste gaudriolle. Tarentino a, malheureusement, ouvert la voie. Je trouve personnellement que son talent est totalement bouffé par l'attirance pour l'action et la violence comme spectacle ultime. C'est parfois bien sous contrôle (bien mis en scène), mais déjà dans Reservoir Dogs (scène de torture "Allo ?") puis dans Pulp Fiction (le coup de feu qui part tout seul sur la banquette arrière) la violence extrême est stylisée, ramenée au rang d'artifice narratif. Mais si j'ai pu apprécier, malgré tout, les premiers Tarantino, les productions de Matthew Vaughn m'ont toujours débecté. Lock, Stock and Two Smoking Barrels (Arnaques, crimes et botanique - bravo le titre en vf...) et Snatch de Guy Ritchie (tiens il fait encore du cinéma depuis qu'il est divorcé de Madonna ?), et Layer Cake qui est une ressucée de Snatch avec un Daniel Craig totalement à la rue avec son air impassible dans ce film qui est censé se situer au 42ème degré de l'humour britannique. Hé bien justement Kingsman est du même tonneau (fumant), à part que le casting ne fait pas l'erreur d'inclure des mecs incapables de distanciation comique (ceci dit je doute que Matthew Vaughn soit un énorme directeur d'acteur, donc je n'accable pas complètement Daniel Craig). Les James Bond qui sont évoqués par le réalisateur (et directement dans le dialogue) restent tout de même largement ancrés dans la réalité. Que 007 exécute des cascades extraordinaires plusieurs fois en moins de 2h, ça reste dans le domaine de quelques chose de réalisable dans l'absolu même si improbable. Le cinéma sait jouer avec l’invraisemblable : il étire les limites de la réalité que l'on connaît, mais doit garder un pied dans la réalité (ce principe du référentiel nécessaire est évoqué par Howard Hawks dans l'analyse du flop de Bringing Up Baby - L'impossible Monsieur Bébé en 1938). Dans Kingsman ces limites sont étirées bien au-delà du "raisonnable" puisque on tombe dans le parti-pris de la grosse farce. Je n'aime pas me faire moralisateur et théoricien du cinéma, mais en vieux cinéphile je trouve que lorsque la frontière de l'invraisemblable n'est pas assez savamment travaillée, lorsqu'on part dans le délire pur, les personnages deviennent alors des personnages de papier, sans substance. Personnellement je n'ai plus peur pour le héros si tout est possible. Où est le suspense quand il peut liquider les doigts dans le nez une demi-douzaine de malfrats dans une seule pièce en moins de 2 (Boileau remixé) ? Cet exemple est symptomatique du manque de travail de fond : on refourgue la même scène d'action, dans des contextes différents, à 3-4 endroits du film. Le kidnapping en Argentine, le Pub, l'église (quelqu'un a compté ?) et l'assaut final (plus dans une seule pièce mais justement totalement déboussolé pour le sens de l'urgence et du risque réel encouru par notre gentil héros). Ça se veut vachement réfléchi comme travail mais c'est en fait du travail de poseur. Par rapport à un film bourrin de série B (avec nettement moins de budget effets spéciaux donc) la prétention est énorme. Et c'est là mon reproche majeur au Tarantino d'après Jackie Brown : tomber dans la facilité. De l'action stylisée jusqu'à l'overdose comme manifeste d'un style propre. Pour moi on déraille dans le parodique qui est justement le refuge des cinéastes peu assurés de leur talent. Au lieu de bosser à faire une histoire solide qui tient la route, on se dit qu'on va grossir le trait et que rien ne sera sérieux, comme ça s'il y a un défaut on dira que c'est fait exprès, banane, t'as rien compris c'est le style du film. Pour finir sur Kingsman, je doute qu'une démarche fondamentalement aussi je-m-en-foutiste puisse aller loin : quand on construit un chateau de sable, on trouve que le suivant n'a rien d'original par rapport au (souvenir du) premier et on s'en lasse (s'enlisse ?) très vite. Jouer dans la cour des James Bond c'est avant tout construire un personnage principal et personnages secondaires qui ne sont pas de simples marionnettes. Raconter une histoire qui tient la route et qui n'est pas une vague enfilade de séquences dont on finit par oublier si le lieu est important. De même bâtir un univers purement imaginaire ça demande beaucoup de boulot. Fantastique, science-fiction : là on est dans des genres où on ne peut pas tricher. Mais il faut avoir le courage d'explorer le genre.