jeudi 15 juillet 2010

Tous coprod / we are producteurs

L'initiative du financement participatif n'est pas nouvelle. Pour se limiter au cinéma, on trouve sans peine des histoires de cinéastes indépendants faisant appel à leurs amis et leur réseau pour réunir les quelques dizaines de milliers d'euros nécessaires au tournage de leur premier film. Et sans se limiter aux cinéastes reconnus aujourd'hui, le numérique a démocratisé la possibilité de financer un court ou un long. Pour le meilleur et pour le pire, évidemment.

Certains ont vu là un "business model" pour la production indépendante et ont lancé des sites comme touscoprod.com, une idée évidemment repiquée aux US où elle a fait long feu. On ne va pas épiloguer sur le fait de d'élargir les participations au financement d'un film. D'un point de vue créatif il est assurément plus confortable de laisser des parts du film à des gens qui financent qu'à son équipe technique : on a un budget pour rémunérer au moins partiellement les énergies créatives donc le rapport est plus simple à gérer. En théorie.

Quand Groluc Besson lance WeAreProducteurs.com sur le même thème on peut se contenter de rire du nom, mais le gars nous étonnera toujours par son cynisme. Faire un appel aux petits porteurs quand on s'appelle Luc Besson c'est un peu comme si Liliane Bettancourt lançait une souscription publique pour payer ses impôts. Sauf que dans ce cas elle pourrait proposer un intérêt ferme garanti sur ses dividendes de L'Oréal, alors que Groluc se contente de faire miroiter des bénéfices futurs si le film marche (ce qui est toujours relatif, suffit d'ajouter une clause où on déduit tout un tas de frais comptables, de gonfler les frais de promotion etc.). Si je file de l'argent à mon petit neveu ou à un ami pour l'aider à financer son film, je ne me fais pas d'illusions sur le retour sur investissement mais j'ai le sentiment d'aider quelqu'un qui m'aura paru sérieux et motivé. Si je souscris à des Soficas je fais un placement relativement risqué, mais diversifié sur plusieurs films. Mais si je file du pognon à Besson j'ai juste le droit de voter pour quelques choix de production superficiels, un peu comme un téléspectateur de la Nouvelle Star.

Quand je vois le début de l'aventure capitalistique je suis conforté dans ma vision de la vanité d'un tel projet. Le public a voté pour un synopsis de ce qu'il aimerait produire, donc a priori voir. Bizarrement (ou pas) ça ressemble à ce dont il est abreuvé en permanence, des histoires d'enquêtes policières plus ou moins scientifiques avec de mystérieuses affaires classées sans suite (cold cases). D'un point de vue marketing c'est un gros fantasme que de se concentrer uniquement à faire ce que le public dit vouloir. Un mauvais marketeur va faire une étude avec des questions directes sur le genre de film que les gens veulent voir. Un bon marketeur va croiser les enquêtes sur les films que les gens sont allés voir et leurs opinions sur différentes tendances de l'actualité socio-culturelle. De ce point de vue poser à un échantillon de 8500 coprod potentiels une question non-neutre sur le film qu'ils aimeraient financer est complètement casse-gueule. On arrive nécessairement à un film de sondage, un film de consensus qui correspond plus à ce que les gens ont déjà vu qu'à ce qu'ils aimeraient voir.

Ceci dit il y a aussi le petit calcul des réseaux sociaux. En admettant que 10 000 personnes participent au financement, ça fait vite 100 000 puis 1 million de personnes touchées en direct lors de la promotion du film. Ce mécanisme fait baver quiconque à qqch à vendre, mais comme le buzz on connait les grandes lignes, on a des exemples de succès, et on ne sait pas comment le maitriser. C'est ça la puissance d'internet : les bons gros business du siècle passé pensent pouvoir arriver avec leurs gros sabots et se servir des outils internet en signant un partenariat ou se mettre des communautés dans la poche en alignant un budget marketing, mais ça ne marche pas comme ça. Une boite qui n'apporte pas d'abord quelque chose de concret sur internet avant d'espérer en profiter n'aurait rien compris. Comme je le disais l'an dernier "Ask not what internet can do for you, first ask what you can do for internet."

Et sur ce point le cynisme de Luc Besson nous étonnera toujours. Bien-sûr il est incapable de comprendre la révolution d'internet sur la société et le business puisqu'il appartient à une caste qui s'est fait des couilles en or sous l'Ancien Régime. Ça, on ne peut pas lui en vouloir, on risque tous de mourir cons parce qu'on ne peut pas tout comprendre du monde qui nous entoure jusqu'au dernier souffle. En revanche quand il affirme que WeAreProducteurs est là pour le réconcilier avec internet il est permis de le lapider. Parce que dans son esprit internet = manque à gagner du téléchargement illégal, donc si internet devient une source de financement docile (c'est sûr que c'est plus dur de négocier des parts de peloche avec OBC ou autres banques, hein ?) alors il ne sera plus fâché. Très belle conception de l'échange, Groluc, mais c'est vrai que chez toi le cinéma est plutôt un caprice de nerd égocentrique et rapace qu'une forme d'ouverture au monde. Avec tout le pouvoir qu'il a eu, et a toujours dans la production cinématographique française, il n'a fait émerger aucun talent. De surcroit il en est bloqué à penser que le public en général, et internet en particulier, lui doit quelque chose.

Pour me détendre il faut vraiment que je me repasse la vidéo de Mozinor sur la recette Besson !

EuropaCrap Rulez !

PS je n'ai jamais téléchargé un truc vaguement coproduit par Groluc, comme quoi, en s'attaquant à d'obscurs pirates il ne fait pas que s'aliéner son public potentiel !

jeudi 8 juillet 2010

The Social Network

J'avais eu une discussion il y a quelques années sur pourquoi on avait des films américains comme Wall Street (1987) (la suite a été présentée cette année à Cannes) et pourquoi le roman Bel-Ami de Maupassant n'avait pas été adapté par un cinéaste français. Dans l'esprit Michel Deville avait réalisé Le Mouton enragé (1974), très réussi en soi mais, défaut classique des films français, très limité en envergure. Le film ne risque jamais de laisser un souvenir inoubliable, ce qui est normalement typique des films médiocres. Médiocrité d'ambition alors ? Pour le coup Bel-Ami offre une vision de l'arrivisme politique et des collusions avec le journalisme qui présentent un sacré défi.

Le manque d'ambition du cinéma français n'est que le défaut générique de notre système bien protégé, notre exception culturelle où une poignée de producteurs se mordent la queue en cherchant à remplir des cases. Derrière ce défaut il y a une pose d'intellectuels bien-pensants "qui osent critiquer Pinochet à moins de 10 000 km de Santiago" (Desproges). Le machin politique c'est Costa-Gavras qui tenait la boutique : faire des films sérieux ou la seule émotion est l'indignation. Ca fait roucouler à Saint-Germain-des-Prés mais ça ne pisse pas loin. Idem, quand Michael Moore leur dit ce qu'ils ont envie d'entendre sur les américains ils trouvent ça puissant. Mais au niveau des fictions politiques qui ont l'ambition de parler d'actualité on n'a eu que de misérables flops. Ce qui tend à entretenir l'idée que les français ne veulent pas voir de fictions ancrées dans la réalité du monde politico-économique.

Ceci dit, pour en revenir à Bel-Ami, le problème est qu'on ne peut pas avoir au cinéma un héros négatif qui montre en creux la corruption de son environnement. Si le méchant incarné par Michael Douglas est le personnage le plus important de Wall Street, la narration suit les pas d'un jeune ambitieux et naïf qui va avoir des problèmes de conscience une fois dans le délit d'initié au côté obscur.

J'ai repensé à ça en voyant que David Fincher (dit chez moi FincherPrice) allait sortir un film retraçant la création de Facebook en suivant son (peu sympathique) PDG Mark Zuckerberg. La communication autour du film essaie de faire monter le buzz, les attachés de presse s'évertuent à dire que ce sera le film événement de la rentrée. Une héros négatif ? Même si des personnages secondaires relevent le niveau moral c'est l'histoire de son ascension. Et je ne le vois pas chuter à la fin puisque les gens viendraient y voir une histoire vraie. Un biopic de Facebook ? Mais les 500 millions d'utilisateurs s'en foutent. Les coups tordus de la génèse de Facebook sont connus de ceux qui se sont intéressés à la question, mais les autres se contentent de jouer à Farmville comme des gros boeufs.
Personnellement je pense donc que le film ne va pas être à la hauteur du battage marketing qui se lance. Si le film est réussi la curiosité du sujet aurait fait le travail du buzz, là ils sont en train de réduire la perception des gens en boostant les attentes sur des points qui ne correspondent pas forcément à ce qui peut intéresser un public là-dedans. Typiquement je pense que ce genre d'histoire marcherait mieux avec un héros positif qui devient millionnaire plutôt qu'une histoire qui insiste sur les ennemis qu'il se fait au passage.
Beau défi pour Fincher ? Tu parles, ce mec est un clipeur qui fait mumuse avec sa caméra, on lui donne un scénar, il fait des belles images dessus. Cette esbrouffe marche plus ou moins suivant le scénar mais là, vu qu'il se contente de filmer ses personnages comme des gravures de mode, ça va être saignant.